#03 - Load et Reload

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Eté 1987, près de Vendôme

Après quelques heures de route, nous étions enfin parvenus à destination. Quelques trajets passés dans la Volvo 240 GLT de notre famille d'amis avaient convaincus mes parents du bienfondé de ce modèle précis. Aussi avaient-ils parcouru des kilomètres pour acquérir leur propre exemplaire. Une occasion en bon état qui n'avait que quelques dizaines de milliers de kilomètres au compteur, de quoi diviser le prix d'acquisition de moitié.

Du haut de mes 7 ans, j'étais quelque part excité par la perspective d'achat de ce nouveau véhicule. Cela nous rapprochait de nos amis dont j'espérais la visite chaque année avec impatience. Mais la maison isolée vers laquelle nous nous dirigions dans le grenier de la France, n'avait rien de commun avec la rue des Récollets à Paris. Nos amis ne furent donc pas de la partie.

En lieu et place, je faisais la connaissance de Grégoire, le fils des propriétaires de la Volvo en ligne de mire. Celui-ci m'exposait rapidement sa panoplie de jouets. Alors que je n'avais d'yeux que pour ses Lego, ce dernier me présenta son ordinateur, sur lequel il était donc d'après ses dires, possible de jouer.

Il est possible que j'aie été en contact avec quelques Games & Watch avant cette découverte. Peut-être même quelques jeux DOS monochromes. Ce qui est certain, c'est que les limites imposées des tableaux à écrans fixes ne m'avaient pas encore convaincues du potentiel du média. Les jeux-vidéo étaient encore l'affaire de score à améliorer ad nauseam, routine bien trop répétitive pour me séduire face au potentiel infini du jeu de construction.

Les pixels animés pouvaient cependant susciter ma curiosité. Je n'étais pas tant obnubilé par les Légo. Les autres jeux pouvaient présenter un certain intérêt, au moins le temps de leur découverte. Aussi me laissais-je porter par mon hôte éphémère, délaissant les adultes à leurs activités mercanto-mécaniques.

L'étincelle d'intérêt que suscita la présentation d'un matériel alambiqué, fait de câbles reliant une famille hétérogène d'appareils futuristes, fut bien vite éteinte. Après avoir parcouru un ensemble de menus abscons, Grégoire parcourait la tranche d'une collection de boîtes qui ressemblaient à s'y méprendre à mes propres cassettes audios. Il finit par en prendre une pour annoncer le nom d'un jeu. La cassette fut enfournée dans un lecteur curieusement similaire au mien. Aucun son ne sortait de celui-ci.

Grégoire m'annonçait qu'avant de jouer, il fallait charger le jeu et que cela prenait du temps. L'observation et la patience dont j'avais déjà fait preuve jusque-là me paraissaient bien longues. D'autant que nous étions en sursis et que je savais mes minutes comptées avant le voyage retour. Aussi Grégoire m'accompagnait-il dans sa chambre où nous retrouvions des jouets de plastique et couleurs plus familiers.

Une demi-heure après, en pleine partie d'Attrape-souris, Grégoire sursauta d'un coup. Prompt à abandonner la partie en cours comme si l'alarme d'un four venait de s'allumer, il m'annonça que le jeu devait avoir fini de charger. Nous retournions donc auprès de l'éminence grise. Le visage contrarié de Grégoire après quelques touches pressées m'indiquait que nous n'étions toujours pas sur le point de voir ce que l'ordinateur avait à offrir.

"Il y a eu une erreur lors du chargement" m'annonça-t-il, "On va essayer avec une autre cassette !". Je passais quelques minutes supplémentaires à le voir réitérer le même processus. Une éternité. La nouvelle cassette était en place, et la perspective de jouer sur ordinateur s'éloignait de nouveau. Retour à la chambre, suffisamment longtemps pour que j'en oublie l'engin récalcitrant. Une bonne demi-heure passée à jouer - pour de vrai - et le visage de Grégoire finit par s'illuminer de nouveau.

De sa masse austère et grisâtre, l'engin fini par afficher les premiers écrans débordants de couleurs de Bombjack. Difficile d'oublier ce magnifique Sphinx en fond d'écran. Malheureusement mon attente ne devait pas porter ses fruits de suite, car Grégoire s'emparait alors du Joystick le premier "pour me montrer". Suite à quoi je fis enfin ma première partie en qualité de novice. Logiquement, celle-ci vint rapidement à terme. Grégoire me laissa peut-être une seconde chance, toute aussi éphémère. Il reprit rapidement contrôle des affaires, pour une partie de durée plus conséquente en sa qualité de vétéran.

Manette au poingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant