#13 - La faute à la manette

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Confins du Poitou, chez moi, 1994

Seul dans mon salon j'enrageais, pas moyen de sortir ce fichu "Panda Splash" !

J'avais récemment troqué, définitivement, mon exemplaire de Zelda III contre une cartouche de Ranma 1/2. Ce jeu de combat très moyen, n'emportait en effet aucune adhésion chez mon ami Sylvain. Je n'avais pas non plus 36 jeux... Aussi, une fois rentré chez moi, j'exploitais la cartouche de fond en comble. J'avais terminé le jeu des dizaines de fois, maîtrisé tous les coups spéciaux, débloqué les personnages cachés. J'avais presque fait le tour de la question.

Sauf pour Genma. Le père de Ranma, ici transformé en panda géant, est en effet capable dans ce jeu d'une attaque surpuissante. D'un coup, il bondit sur sa cible en tournant sur lui-même, pour l'écraser sous son poids. La moitié de la barre de vie de l'adversaire y passe. L'ordinateur m'assénait ce coup régulièrement. J'étais même parvenu à sortir cette technique secrète une fois, sans trop savoir comment... Mais pas moyen de reproduire cet exploit.

La notice était muette à ce sujet. Tous les personnages partageaient des coups spéciaux nécessitant grosso-modo les mêmes combinaisons. La plupart des coups étaient à concentration, ce qui pénalisait malheureusement grandement le rythme du jeu. Les rares qui ne l'étaient pas se réalisaient en pressant les touches des coups de poings et pieds au même moment. C'était désespérément prévisible et manquait de variété. Sauf que malgré cette homogénéité, le "Panda Splash" continuait à m'échapper.

J'avais même épluché tous les magazines auxquels j'avais accès sur la question. On y trouvait divers codes secrets. Aucun d'entre eux ne mentionnait la moindre ligne sur ce fameux "Panda Splash" annoncé dans la notice.

En ce dimanche après-midi solitaire, j'enchainais les parties comme un forcené. J'étais lassé de jouer avec ce panda géant, mais j'étais résolu à découvrir ce dernier secret qui me résistait. Quand soudain, miracle ! Le panda se mit à bondir dans les airs, tournoyant sur lui-même et écrasant sa proie. J'étais enfin parvenu à reproduire sa botte secrète.

Enfin je le croyais. Combat suivant, je réitérais la manipulation que je pensais avoir maitrisée et mémorisée. Rien à faire, ce panda paresseux restait cloué au sol. La pression était en train de monter. Je poursuivis mes recherches sans parvenir à mes fins. Belotte, rebelotte, 10 de der. Pas moyen. J'enrageais, je fulminais.

Deux bonnes heures plus tard, le miracle se produit de nouveau... Mais je ne parvenais toujours pas à comprendre comment. Quelques essais infructueux en plus et des musiques bien répétitives plein la tête, je finissais par jeter ma manette de rage par terre. J'étais ivre de colère.

Du côté de mon père, les 3/4 de l'arbre généalogique ont des anecdotes croustillantes similaires, à propos d'excès de colère ainsi manifestés sur des objets du quotidien. Pour mon père lui-même, ex vice-champion de Bretagne de lancer de disque, c'était un allume-gaz qui avait ainsi voltigé à une centaine de mètres de la maison pour plonger la tête dans un bassin. Il devait le récupérer le lendemain matin, coincé dans une grille. L'objet de cette colère, qui détient probablement encore le record du monde de distance en vol plané dans sa catégorie, fonctionnait encore. Chacune de mes tantes possède au moins une anecdote similaire à raconter à propos de mes oncles. C'est d'autant plus gênant et hilarant, que la majorité du temps, nous faisons par ailleurs preuve de calme et de patience.

Ma manette venait donc de percuter le carrelage en terre cuite du sol de notre salon. Je laissais passer mon émotion, un peu con, puis me levais pour récupérer ma victime en plastique. Souhaitant vérifier que je n'avais pas endommagé mon bien le plus précieux, je reprenais la partie. Non seulement le "Panda Splash" était condamné à rester secret, mais plus rien ne semblait fonctionner.

Manette au poingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant