#09 - Le ciel, les jeux-vidéo et ma mère

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Tous les passionnés de jeux vidéo de mon âge (je suis né en l'an de grâce 1980) ont dû, dans une certaine mesure, devoir résoudre un certain niveau de conflit avec leurs parents. Nous étions en quelque sorte la première génération de passionnés. Non celle qui a vu le média fleurir, mais celle qui en cueillit les premiers fruits mûrs. Face aux jeux d'arcade simplistes des années 80, les années 90 laissèrent place à de véritables œuvres d'art à la profondeur insoupçonnable. Aussi nos parents, déjà la tête dans les responsabilités professionnelles et les couches culottes à la sortie de Pac-Man, ne comprenaient pas comment nous pouvions y consacrer autant d'heures.

Face à l'attention soutenue que je portais à ma console, et quelques abus dont je fis preuve sitôt l'autorité parentale hors de portée, mes parents tentèrent de trouver un juste milieu. 4h d'écran(s) par jour maximum - reprécisons que les portables et autres smartphones étaient alors encore le domaine réservé de la science-fiction - c'était la sentence inéluctable dès que mes vacances commençaient à sentir un peu trop le renfermé. J'ai poussé maintes complaintes à ce sujet. La parade fut rapidement trouvée entre l'acquisition d'une Game Boy et des après-midi passées à jouer chez les copains. La limite fut ainsi détournée de toutes les façons possibles. Ne pas me voir vissé à la télé familiale toute la journée semblait suffire à la sobriété réclamée.

Durant ces premières années, comme tout passionné, j'essayais néanmoins de convertir mon entourage aux bienfaits des jeux-vidéo. Chaque tentative ne devait déclencher qu'un regard d'incompréhension. La faute incombait probablement à mon immaturité.

Seul le recul des années pouvait me faire réaliser à quel point le discours commercial de la fameuse VHS de présentation de la Super Nintendo, qui dévoilait à mes yeux tant de merveilles, était affligeant. Mes parents, exigeants sur la qualité du matériel Hi-Fi n'avaient que faire des prouesses de Koji Kondo ou Hiroki Kikuta à la composition. J'étais à ce titre régulièrement rappelé à l'ordre afin de couper le son. Amoureux, à leur façon, de belles bandes dessinées et autres peintures romantiques, les représentations ultra pixélisées de Yoshitaka Amano ou Tetsuya Nomura ne leur inspiraient qu'indifférence. Avide de septième art, l'introduction filmée de Resident Evil ne fit pas plus illusion que la série Z qu'elle était.

J'avais pourtant un peu de renfort sur la question. Mon oncle s'était en effet suréquipé d'un ordinateur dernier cri. Sa caution d'adulte et un sublime Dragon Lore - surpassant de loin en maturité tout ce que j'avais pu ramener à la maison - ne devait guère provoquer d'étincelle. Même le fameux X-Wing, proposé à mon père, aussi féru de Star Wars et d'aviation militaire que mon Oncle, ne devait pas susciter d'engouement. Devant l'impassibilité parentale, je finis donc logiquement par abandonner tout espoir de conversion à la cause, et ainsi composer avec les limites imposées.

L'été 97 devait malheureusement mettre un terme à tous les subterfuges. Mon père, pisciculteur de profession, avait en effet décidé de tourner la page. Marre de se les geler à trier les poissons, plongé jusqu'au nombril dans l'eau glacée en plein mois de février. Marre de se réveiller toutes les deux heures, une nuit sur deux en automne pour aller déboucher les grilles envahies de feuilles mortes. Marre de ne jamais vraiment être de repos le dimanche. Marre d'être à la merci des assurances dès que la maladie, la sécheresse ou tout autre incident se profilait. Marre du quotidien, sans doute, après 12 années de bons et loyaux services.

Cette réorientation professionnelle allait obligatoirement s'accompagner d'un déménagement. Mes parents rêvaient de leur Bretagne natale et n'avaient que faire des champs de blé, maïs et tournesol envahissant le Poitou. Aussi j'étais sur le point de passer mon année de Terminale près de ma famille mais loin de toutes mes relations.

Je ne vis pas immédiatement les transformations. Côté jeux-vidéo toutefois, la bride parentale se délestait alors, sans effet d'annonce particulier. Je passais ce dernier été un maximum de temps chez tous les amis possibles, célébrais mon départ en fanfare et fit le grand tri dans toutes mes relations. Il y avait ceux que je reverrai et les autres. Je rejoignais ainsi la terre de mes ancêtres sans ne jamais plus entendre parler de cette fameuse limite de 4h.

Manette au poingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant