Chapitre 1: Soirée mondaine

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Installée devant ma coiffeuse, je tente d'identifier la jeune fille qui me regarde droit dans les yeux.

Il me semble la connaître sur le bout des doigts. Un visage fin avec des traits délicats. De grands yeux de biche qui contrastent avec cette peau de porcelaine. Un petit nez pointu et une jolie bouche.

Je me recule légèrement alors que je sens la douceur de la brosse entrer en contact avec l'arrière de mon crâne, pour plonger dans ma fine chevelure châtain, qui a la fâcheuse manie de boucler par les temps trop humide.

Je décompte. 3, 2, 1... et je sens la brosse revenir aplatir les quelques boucles rebelles qui encadrent mon visage.

Mon regard ne cesse de me contempler dans le miroir. Oui, cette fille en face de moi a le même visage que j'arbore depuis des années. Avec l'étincelle dans les yeux en plus.

Les siens sont grands et lumineux. Les miens, chocolat, ont perdu leur éclat depuis longtemps...

Mais je ne le montre pas. Certaines choses ne doivent pas être dites !

– Miss Peverell ?

La voix d'Eudoxy me ramène à la réalité, me faisant papillonner l'espace d'un instant. Simplement par manque de temps ou par manque d'envie, j'ai tendance à me laisser partir aux pays des songes bien plus que de raison. Si mon oncle le savait...

– Qu'y-a-t-il ? demandé-je, d'une voix douce mais qui sonnait à chaque fois froide dans mes oreilles.

– Quelle robe voulez-vous porter, Miss ?

Ma petite elfe m'apporte deux robes. Les deux sont claires, l'une est en soie, rose pâle, la seconde en mousseline présente une jolie couleur crème qui risque de jurer affreusement avec la pâleur de ma peau.

– Je mettrai la rose, Eudoxy, dis-je calmement. Avec le corset pour la taille. Pas celui pour la poitrine.

Il me faut le préciser à chaque fois que l'on m'apprête, depuis mon dernier malaise. À croire qu'être la plus fine possible prime sur une respiration convenable... Je me lève de la coiffeuse pour passer derrière le paravent afin d'enfiler ma tenue, me sentant déjà compressée dans ce corset qui m'enserre le souffle et l'estomac.

La soie glisse sur mes épaules, mes hanches et mes jambes. C'est fort agréable. Surtout par cette période d'été où la chaleur avoisine des températures peu supportables, et cela, même si nous sommes dans le Yorkshire, chez ma tante et mon oncle.

Lorsque je repousse le paravent, pour m'asseoir de nouveau face à mon miroir, mon regard tombe sur le paysage qui se dégage de ma fenêtre. Les champs fleuris de coquelicots et de tulipes me donnent envie de m'y étaler, de me rouler dans l'herbe fraîche à la tombée de la nuit, les pieds nus, les bras étendus... comme lorsque j'étais petite fille et que je vivais encore dans le Sussex.

Je passais des heures allongée sur l'herbe à contempler les étoiles, espérant un jour pouvoir les toucher du bout des doigts.

Je souris à cette pensée.

Ma mère me répétait sans cesse que je sentais le crottin de cheval à force de gambader dans la nature et dans les herbes à poneys. Cela ne l'empêchait pas de me serrer dans ses bras chaque fois que je revenais de mon cours d'équitation. C'était il y a si longtemps...

Mon regard revient dans ma chambre, celle que j'habite depuis l'âge de mes quatorze ans, ici à Flaglet-le-Haut, au Manoir Rowle. La demeure de ma tante et mon oncle.

Cela fait déjà deux ans et je n'arrive toujours pas à m'y faire. Peut-être parce que ma chambre est toujours immaculée, comme si je n'étais qu'une passagère d'été alors que ce n'est pas le cas.

First ImpressionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant