Chapitre vingt-neuf

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— Les manchots ont un seul partenaire tout au long de leur vie. Afin de prouver leur amour, s'appartenir pour l'éternité, ils s'offrent des cailloux. Alors sous l'impulsion, j'ai récupéré un galet et j'ai dit à Blaise...

— « On sait, toi comme moi, que la vie ne sera pas indéfiniment clémente », compléta le concerné. « S'aimer dans le répit et la légèreté, c'est bien, mais savoir se montrer présent et à la hauteur des sentiments de l'autre dans les instants les plus durs, c'est lui assurer son soutien et sa loyauté. »

— « C'est chez toi que j'ai trouvé ce grain de folie, cette volonté d'accomplir mes rêves. Tu m'as fait prendre conscience que le bonheur est à portée de main, qu'il est possible d'aimer librement. »

Je n'avais jamais été adepte des déclarations véhémentes, mais ce jour-là, j'avais ressenti le besoin de lui dire à quel point notre rencontre avait bouleversé ma vie. Même si notre amour restait imparfait, ses bases étaient solides. J'avais la conviction qu'il nous restait un long chemin à parcourir ensemble.

— Grâce à notre histoire, ajouta Blaise, on a compris qu'on pouvait aimer sans laisser un sentiment d'appartenance nous gagner. Quand on aime, on permet à l'autre de s'épanouir, de devenir la meilleure version de lui-même.

Désormais, j'en étais certaine : de quoi que soit fait l'avenir, nous serions à jamais liés.

Edwige brisa la magie du moment en gloussant :

— J'ai dû leur dire que les femelles de cette espèce ont besoin de galets pour construire un nid, pour leur portée, et qu'elles s'en procurent auprès des mâles en échange de faveurs.

— Mais c'est de la prostitution ! souligna Ruth, à mi-chemin entre l'étonnement et l'amusement.

— Et donc... Le mariage est-il toujours d'actualité ? ne put s'empêcher de questionner mon père.

Il y eut un moment de flottement. Blaise me jeta un regard fuyant comme s'il craignait que ma réponse lui déplaise. S'il s'avérait que j'aie changé d'avis, j'aurais pris l'initiative de lui en parler, alors je répondis :

— Il aura lieu quand je sortirai du centre, quand je reprendrai une vie normale. D'ici-là...

Je m'interrompis.

— Ce sera un mariage intimiste. Je nous imagine bien le célébrer à Broadstairs ou Whitley Bay.

— Et pourquoi pas Hawcombe ? suggéra mon père avec enthousiasme.

Il était originaire de ce village aux façades contrastées de brun et d'ocre, aux fleurs juchant les fenêtres basses – un cadre idyllique pour échanger nos vœux.

En réalité, je me moquais de ces détails tant que j'étais entourée des personnes qui m'étaient les plus chères.

— Chani Fetherstonhaugh souhaiterait vous rendre visite en fin de journée, nous interrompit une infirmière. Il serait peut-être préférable que vous laissiez Aislinn se reposer...

* * *

Plusieurs mois s'écoulèrent. Des nuits tortueuses et interminables prirent jusqu'au dernier centième de mon énergie. Seules mes ambitions me permettaient de tenir bon, de garder la tête hors de l'eau.

Lorsque je sortis du centre, j'étais prête à reprendre mes rêves là où je les avais laissés. Je retournai au comité et effectuai d'autres visites culturelles dont, sans surprise, quelques-unes dans des musées où mon cœur bondissait dans sa cage thoracique.

Je revis mon amie Chani. Elle nous entraîna, Blaise et moi, dans des soirées de débauche où les liqueurs coulaient à flots. Nous fîmes de nouvelles rencontres, ce fut une réelle bouffée d'oxygène. Les enterrements de vie de jeune fille et jeune homme passés, ma tendre Edwige nous déclara unis par les liens du mariage.

Lors de la nuit de noces, dans un splendide chalet d'Hawcombe, Blaise fit grimper la température. Nous nous délestâmes de nos vêtements à la lumière d'une bougie et Blaise murmura au creux de mon oreille :

— Je suis fier de la personne que tu es devenue, fier d'être ton mari. Je le serai qu'importe les choix que tu seras amenée à prendre, qu'importe les doutes et les aléas qu'on rencontrera.

Mon aléa avait été Vassilis. Le procès approchait et je faisais mon possible pour l'évincer dans un coin de ma tête. Pourtant, j'avais conscience que ce déni ne le repousserait pas indéfiniment.

— Tu es forte, souffla Blaise en mordillant ma lèvre.

J'espérais de tout cœur qu'il ait raison. Je ne tarderais guère à le savoir, de toute manière.

Ses mains empoignèrent mes hanches. Je sentis le désir grimper en moi et choisis de lâcher prise. Ses baisers parcoururent mon corps tout entier ; je n'en fus que plus comblée.

— J'espère qu'on aura une fille dans quelques années, se confia mon amant.

Je relevai la tête, auparavant enfouie dans sa chevelure en bataille. Je m'accrochai à son torse comme un naufragé à sa bouée de sauvetage, un escaladeur à son baudrier. J'étais si reconnaissante d'avoir Blaise auprès de moi, de pouvoir compter sur son soutien sans failles. Ce drame avait eu le mérite de renforcer nos liens.

— On l'appellera Hope. Hope Lovelace, à la mémoire de ce qu'on a traversé, de l'ardeur avec laquelle on s'aime et de la force qui émane de cette passion.

Je lui montrai à quel point cette idée me plaisait. Je ne me fiai plus qu'à mes sens, à sa poitrine chaude contre la mienne, son cœur qui battait à travers sa chair. Je redessinai mentalement les lignes humides que sa langue traçait sur ma peau, les paupières closes. Elle s'imprégnait de son odeur, de sa douceur.

Toute mon existence, je n'avais eu de cesse de chercher un repère. En réalité il était là, sous mes yeux.

Je me promis de ne jamais le laisser filer.

FugaceWhere stories live. Discover now