Partie 1:
Il y a bien longtemps ...
Une petite fille châtaine se faufila entre les haies, un plateau garni de pâtisseries entre les mains. Elle reluqua la petite montre entourant son frêle poignet avec angoisse. Elle était en retard. Elle qui avait tant voulu que tout soit parfait. Elle qui avait promis à ses parents qu'elle serait à l'heure. Son pas s'accéléra sur la pelouse encore humide, tout comme sa respiration. Elle fixa avec envie ses créations, les premières réalisées en complète autonomie, un premier pas vers son rêve tout récent de monter son propre restaurant.
La tête enfermée dans ses rêves, elle manqua de trébucher contre le rebord d'un parterre fleuri. Elle poussa un petit cri paniqué lorsque le plateau s'échappa de ses petites mains. Elle s'imaginait déjà son travail perdu entre les tiges et les hautes herbes lorsqu'une main d'enfant rattrapa de justesse le présentoir.
-Besoin d'aide, Mary? suggéra le propriétaire de la main.
Un soupir de soulagement en guise de première réponse, la petite pâtissière reprit ses gâteaux, un sourire ornant ses lèvres.
-Où vas tu comme ça ? poursuivit le petit garçon lui faisant face.
-Apporter mes gâteaux pour l'anniversaire d'Elysiane.
À peine ce nom sortit de sa bouche que les sourcils du gamin se froncèrent.
- Quelque chose ne va pas Clay ? s'intrigua l'enfant de dix ans, en remarquant la mine renfrognée de son ami.
-Ce n'est rien, mentit le rouquin, ne t'en fais pas. Je dois y aller, bonne fête d'anniversaire, Mary.
Il lui tourna les talons dans le but de s'éloigner le plus possible des festivités honorant la blonde qu'il détestait tant.
-Attends, Clay ! cria Mary.
Le pré-adolescent fit alors volte face.
- Oui ?
- Si tu as besoin de parler, je suis là. Et merci d'avoir rattrapé ma gaffe.
Il sourit, comme pour signifier " de rien". Elle le gratifia d'un bisou sur la joue avant de le quitter, n'oubliant pas son retard.
- Ah, j'allais oublier, joyeux anniversaire, conclut elle en poursuivant sa course vers le centre du labyrinthe où se tenait le gouter.
- Merci, souffla-t-il bien qu'elle fut bien trop loin pour l'entendre, tu es la première à y avoir pensé.
***
—Joyeux anniversaire princesse.
La musique venait tout juste de résonner lorsque la petite pâtissière atteignit le centre. Elle posa son étalage sucré sans que personne ne la remarque. Ses pâtisseries semblaient minuscules en comparaison aux autres délices qui décoraient la grande table. D'une main furtive, elle déroba un macaron à la fraise qui attirait ses yeux depuis quelques secondes et prit place auprès de ses parents, organisateurs des festivités.
Après un anniversaire à l'image des précédents, les invités prirent congé tandis que la princesse blonde s'accorda une balade dans les sentiers du labyrinthe qu'elle connaissait désormais comme sa poche. Quelques confettis débordaient sur les murs végétaux.
- Elysiane...
La fillette se retourna. La voix ne lui semblait pas familière. Elle fit marche arrière guidée par la voix cristalline qui répétait son nom. Ses pas se firent de plus en plus lents au fur et à mesure qu'elle avançait. Elle ne devrait pas avoir peur pourtant. Elle se sentait proche de sa destination puisque la voix s'amplifiait. Finalement, lorsqu'elle sentit quelque chose frôler son dos, elle s'arrêta.
Une ombre prit place devant elle. Elle paraissait monstrueusement grande par rapport à l'enfant qui venait de fêter ses sept ans, ou du moins sa septième année depuis l'incendie.
- Qui êtes vous ? demanda t-elle naïvement.
L'ombre prit forme. Une femme, trentenaire, peut-être plus vieille se dressait face à elle. Un fantôme, puisqu'elle ne put la toucher, dont la peau reflétait une même pâleur que celle teignant le visage d'Elysiane.
- Vous pouvez parler, madame Ombre?
D'une voix faible, le spectre répondit à la petite fille.
- Oui, je le peux. Ils t'appellent Elysiane ici ?
La petite scruta son interlocutrice. Des mèches blanches juraient avec la teinte rosée de sa chevelure dressée en chignon. Ses yeux saphirs la toisaient avec insistance, s'impatientant de son mutisme.
— Oui, c'est mon prénom, répondit finalement la petite Elysiane sur un ton plutôt sec pour son âge. Qui êtes vous ?
—Je m'appelle Helana mais..
—Mais ? répéta la gamine impatiente d'en savoir plus.
La mâchoire de l'ombre se crispa.
—Tu es bien trop jeune pour en savoir davantage.
— Je veux savoir, renchérit la blonde avec fermeté, frustrée de ne pas avoir eu de réponse. Vous êtes une princesse ? continua t-elle en remarquant tout juste la présence d'une fine couronne au dessus de son front.
- Une reine, rectifia t-elle en haussant les épaules. Il se fait tard, je vais devoir m'en aller. Ça a été un plaisir de faire ta connaissance Aurora.
-Elysiane, souligna la petite, mon nom est Elysiane.
-Qu'ai-je dit ?
- Vous avez dit Aurora.
- Oublie ce que je viens de dire, Elysiane.
Ses mots furent pris au sens propre. Elle disparut laissant derrière elle une fumée blanchâtre qui caressa les narines de la petite fille et lui fit perdre un fragment de mémoire. Ou presque.
***
-"Mon dieu !
La voix de la petite conscience résonna dans toute la salle. Comme si elle se reveillait d'un cauchemar, Clara inspira bruyamment en posant sa petit main contre sa poitrine. Des souvenirs lui étaient revenus. Des bribes de souvenirs qu'elle pensait ne jamais voir.
- Elysiane, je peux te parler une minute ?
Les yeux encore rivés sur la lettre, la blondinette acquiesça. Elle arrêta Clay de la main alors qu'il comptait la suivre, sous le regard approbateur de la bleuté.
- Je dois te prévenir, Helana est...
Les mots restèrent bloquer dans sa gorge. Elle tenta à nouveau, une fois, deux fois, trois fois. Sans succès.
-Helena est... répéta la princesse, la voix anxieuse.
-Je ne peux pas te le dire, blêmit la petite créature en se tenant le cou. Ma voix est bloquée.
Elle tenta bien d'autres moyens comme le mime ou l'écriture mais soit ses mains se bloquèrent sur le stylo, soit ses membres se figèrent, incapables d'obéir à son cerveau.
- Ça ne fait rien, conclut la princesse en balayant les airs de la main. Tu as un plan pour sortir d'ici ?
Helana leur avait lancé un défi, elles devaient le relever tout simplement. Sans doute, il fallait que la bête, ou Clay, redevienne un Humain pour que le portail ne se re-ouvre.
Un chandelier mobile et animé, à l'air plutôt jovial apparut dans la pièce, son nom : Lumière. Il fut vite suivi d'une horloge parlante, d'un plumeau tout aussi vivant, d'une théière nommée madame Samovar et d'une petite tasse fêlée qui eut l'air d'être un grand casse cou dans l'âme. Clara et Elysiane échangèrent un regard : elles avaient la même idée en tête.
- Ma belle, il va falloir séduire ta bête, souffla malicieusement la petite bleue.
***
- Comment pouvons nous l'aider à rentrer chez elle ? interrogea Rosélia en fixant du coin de l'œil la princesse blanche comme neige qui saignait encore abondamment.
- Je sais que ce que je vais dire est horrible mais Blanche Neige est le cadet de nos soucis à présent, répondit calmement la maitresse du mal. De tout ce qu'on peut dire sur Helana, elle ne laisserai jamais l'un des siens mourir.
- Mais pour nous il n'y a aucun souci, cracha Sasha, la voix pleine de sarcasme.
- C'est un peu cela l'idée. Rosélia, tu dois savoir une chose, ton grand père n'était pas quelqu'un de ...
- De bien, coupa la métisse. Je sais, j'ai reçu assez de lettres de la part de cette chère Helana pour savoir que les Hamswood ne sont pas les bienvenus dans ces lieux. J'ignore ce qu'il s'est passé mais je ne désire pas le savoir. Il était de notre famille, il restait un bon grand père.
Maléfique aurait presque pu être attendrie par ce discours mais refusa de laisser paraître quoi que ce soit sur son visage écailleux. Son mari lui manquait terriblement, malgré tout ce qu'il avait pu faire, elle l'aimait encore. Il lui ressemblait en réalité : il n'était pas méchant au fond de lui, il avait juste pris les mauvaises décisions.
- Bien après ce discours larmoyant, interrompit sèchement le prince, quelqu'un aurait il un plan pour que je ne finisse pas en lamelles de prince Philippe ou de quelque autre sorte de mort possible ?
Rosélia arracha son collier et le tendit à la fée cornée. Elle prit une grande inspiration traduisant à la fois son agacement et son anxiété puis se métamorphosa en la princesse Aurore vêtue de sa robe bleue.
- Bien, soupira t-elle, j'espère que tu as bien révisé ton texte, Sasha, parce que tu vas devoir jouer le rôle du prince charmant.
- Voyons, c'est celui que je joue le mieux.
Rosélia ne perdit pas une seconde, si elle portait cette tenue spécifique et non la robe de campagne de la princesse, alors cela signifiait qu'elle se rapprochait dans l'histoire du moment fatidique. Helana était intelligente, ou du moins assez pour savoir comment n'atteindre que la Hamswood. D'un sortilège que la fée noire maitrisait à la perfection, tous les trois furent téléportés dans le château rose qui enfermait dans l'un de ses donjons l'un des plus célèbres objets de contes de fées : le rouet. Rosélia le fixa avec effroi. Elle l'avait déjà vu étant enfant mais n'aurait jamais imaginé qu'elle devrait un jour s'y piquer le doigt.
- Tu préfères que je t'ensorcelle afin que ce soit plus...facile ? questionna Maléfique
La métisse fit non de la tête. Elle voulait y arriver seule. Elle ne détacha pas son regard de la pointe brillante sous le rayon de lumière qui dépassait d'une lucarne mais murmura :
- Tu me réveilleras ?
- Évidemment, répondit la grand mère se voulant rassurante.
Satisfaite par cette réponse, la jeune femme approcha son index du fuseau. Elle ferma délicatement les paupières se préparant pour un sommeil ou une inconscience brève, du moins, elle l'espérait.
- Attends Ro, l'arrêta le noble. Je ne pense pas...Je suis même certain que cela ne fonctionnera pas.
Hein ? fut la réaction commune de la grand mère et sa petit fille.
- La belle au bois dormant se termine par le baiser du prince, poursuivit il. Si j'étais Helana, je ferais en sorte qu'il n'y ait aucune autre alternative que celle ci.
Le prince se préparait mentalement à riposter au cas où la métisse évoquerait le film Maléfique mais elle n'en fit rien. Elle savait que Maléfique et la belle au bois dormant étaient deux mondes distincts, tout comme la belle et la bête de Walt Disney et la Belle et la Bête de Madame Leprince de Beaumont. D'ailleurs cette Maléfique ne ressemblait en aucun point à Angelina Jolie.
- Je suis donc vouée à ne jamais me réveiller, se désola la belle au bois dormant plus trop certaine de vouloir se piquer le doigt.
- Pas nécessairement, reprit Sasha. Maléfique, vous avez toujours le collier de Rosélia ?
La fée noire hocha la tête et le lui tendit. Il n'hésita pas une seconde, se rappelant son mode de fonctionnement, et l'enfila à son cou. Son apparence originelle refaisant surface, il défit l'attache du bijou et murmura avec le plus grand sérieux.
- Je veux être la princesse aurore.
Obéissant à ses ordres, une pluie d'étoiles habilla l'héritier du trône. Il était devenue celle qu'il avait souhaité être. Il fit un pas en avant vers Rosélia, qui avait troqué son apparence féminine contre celle du souverain Philippe, et le fuseau.
- Qu'est ce que tu fais ? grogna t-elle.
- Helana t'en veut, on est d'accord, expliqua la voix féminine d'Aurore. Donc si je touche le fuseau, elle sera tentée de me sortir de là. Elle ne laisserait pas mourir un "charmant" innocent.
- Ton plan est bancal, il ne fonctionnera jamais.
- Il n'y a qu'un moyen de le savoir. Si j'ai tort, je compte sur toi pour trouver un moyen de me ramener, d'accord ?
- Non, je...
Sans lui laisser le temps de finir sa phrase, sans même écouter sa réponse, il déposa son index sur le fuseau pointu. Une goutte de sang s'en échappa et s'écoula sur le parquet. Sasha eut quelques vertiges l'obligeant à s'asseoir au sol dans un mal de crâne assourdissant. Il s'évanouit finalement après quelques secondes de douleur.
- Que faisons nous maintenant ? songea à voix haute la brune.
- Attendons qu'il se réveille et espérons que son plan fonctionne, trancha Maléfique, consciente que cela pouvait être une très mauvaise idée.
-Et s'il ne se réveille pas ?
La fée soupira et sortit de son manteau un petit grimoire. Elle le feuilleta délicatement puis le tendit à sa descendante en prenant bien soin de marquer du bout des doigts la page intéressante.
L'intitulé n'était nulle autre que : "Comment fabriquer un filtre d'amour ?"