L'Astriale - Les Ombres de l'...

By MarieEBlue

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« Ils sont quatre. Certains ne se connaissent pas. Et pourtant, les fils de leur vie sont indéniablement nou... More

Avant-propos
Lexique
Les personnages
Autres informations
Prologue
Chapitre 1.I : Les Merveilles
Chapitre 1.II
Chapitre 1.III
Chapitre 1.IV
Chapitre 2.I : Les deux étrangers d'Opaltys
Chapitre 2.II
Chapitre 2.III
Chapitre 2.IV
Chapitre 3.I : Un bal de capes
Chapitre 3.II
Chapitre 3.III
Chapitre 4.I : La Cité du Commerce
Chapitre 4.II
Chapitre 5.I : Rien qu'un bras cassé
Chapitre 5.II
Chapitre 5.III
Chapitre 6.I : L'Histoire des Espions
Chapitre 6.II
Chapitre 6.III
Chapitre 7.I : L'Antre du Corbeau
Chapitre 7.II
Chapitre 8.I : Capriner enneigé
Chapitre 8.II
Chapitre 9.I : Le retour de la sénatrice
Chapitre 9.II
Chapitre 9.III
Chapitre 11.I : Joyeuse Aneylanh
Chapitre 11.II
Chapitre 12.I : La voix de la sagesse
Chapitre 12.II
Chapitre 12.III
Chapitre 13.I : Monocle
Chapitre 13.II
Chapitre 14.I : Un, deux, trois points de sutures
Chapitre 14.II
Chapitre 15.I : La trêve
Chapitre 15.II
Chapitre 15.III
Chapitre 16.I : La curiosité est un vilain défaut
Chapitre 16.II
Chapitre 16.III
Chapitre 16.IV
Chapitre 17.I : Ah, le sale gosse !
Chapitre 17.II
Chapitre 17.III
Chapitre 17.IV
Chapitre 18.I : La tombée de la Chouette
Chapitre 18.II
Chapitre 18.III
Chapitre 18.IV
Chapitre 19.I : L'Ombre Blanche
Chapitre 19.II
Chapitre 19.III
Chapitre 19.IV
Chapitre 19.V
Chapitre 20.I : Les maires
Chapitre 20.II
Chapitre 20.III
Chapitre 20.IV
Chapitre 20.V
Chapitre 20.VI
Chapitre 21.I : Reprendre confiance en soi
Chapitre 21.II
Chapitre 21.III
Chapitre 22.I : L'épreuve de la Décision
Chapitre 22.II
Chapitre 23.I : L'incendie
Chapitre 23.II
Chapitre 23.III
Chapitre 24.I : L'épreuve de la Représentation
Chapitre 24.II
Chapitre 25.I : Fait comme un Rat
Chapitre 25.II
Chapitre 26.I : Cérémonie funèbre
Chapitre 26.II
Chapitre 26.III
Chapitre 27.I : L'épreuve de l'Éducation
Chapitre 27.II
Chapitre 27.III
Chapitre 27.IV
Chapitre 27.V
Chapitre 28.I : Amie ou ennemie ?
Chapitre 28.II
Chapitre 29.I : Qui est Madame Draner ?
Chapitre 29.II
Chapitre 29.III
Chapitre 30.I : La fin de l'Apprentie...
Chapitre 30.II
Chapitre 30.III
Chapitre 31.I : ...et la naissance de l'Espionne
Chapitre 31.II
Chapitre 31.III
Épilogue
Remerciements
Bonus
Tome 2

Chapitre 10 : L'Attentat de Genibel

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By MarieEBlue

Qui était donc ce jeune homme, Mihlo Dicov, que l'on voyait souvent avec la sénatrice Arysia Taureau ? Certains pensaient qu'il s'agissait de son âme damnée ou encore de son amant. D'autres étaient persuadés qu'il était l'espion personnel de la sénatrice. Il n'en était rien de tout cela, bien que la dernière proposition se rapprochait de la vérité.
Arysia Leynilie ou la dangereuse sénatrice Taureau, de Caoca Oapa, an 1598.

𝓙illan observa l'imposante demeure qui se dressait face à lui. L'Étoile – un nom osé – ne valait certes pas l'Opale et encore moins le palais de Fanie Bélier à Ylthenas, elle demeurait cependant être une bâtisse d'excellente facture.

Ses hauts murs de pierre foncée étincelaient dans la douce lumière hivernale, à cause de la multitude de cristaux incrustés. La neige qui avait dû s'accumuler sur les fenêtres avait été dégagée, bien qu'une couche de poudreuse dissimulait encore partiellement le toit en tuiles noires. Quelques gardes patrouillaient de la tour est à la tour ouest, certainement frigorifiés.

Jillan n'avait pas froid, cependant, il reconnaissait qu'il n'avait jamais vu autant de neige en Solyn pour un mois de Capriner. Alors, il se doutait que les gardes n'étaient pas habitués à être dehors par une température si basse.

Et encore, le ciel était bien dégagé, ce qui permettait aux rayons du soleil de les réchauffer quelque peu.

– On attend quoi, par tous les dieux ? Qu'il se remette à neiger ? grommela Souris.

  Mécontente, elle coinça ses mains sous ses aisselles pour tenter de les réchauffer, tout en continuant de faire des aller-retour. Jillan la trouvait beaucoup trop énergique, tandis qu'il s'était adossé au mur derrière lui, les bras croisés.

– On attend que la Ligue arrive. Et, pour l'amour des dieux, arrête de bouger dans tous les sens, Souris, déclara Corbeau. Antilope, est-ce que tu les vois ?

– Non, pas encore.

Jillan leva la tête, vers le fond de la rue. Perchée sur le balcon d'une maison, Antilope faisait le guet, ses tresses grises et brunes flottant au vent. Après Aigle, elle était celle qui avait la meilleure vue, d'où le fait que Corbeau lui ait attribué ce poste. Qui plus était, Antilope était rapide – ce n'était pas un hasard si elle s'appelait « Antilope » – si bien qu'il lui faudrait moins d'une seconde pour détaler, sans se faire prendre.

Il fallait bien le reconnaître ; elle avait beau être la plus âgée des Espions, Antilope restait l'une des plus agiles et meilleurs d'entre-eux. Elle était loin de faire ses quatre-vingt-dix-sept ans, semblait bien plus dans la force de l'âge.

– Excuse-moi d'avoir froid, marmotta si bas Souris, que seul Jillan l'entendit.

Comme le lui avait ordonné Corbeau, elle s'était arrêtée, bien que cela ne l'empêchait pas de se balancer d'avant en arrière, claquant des dents. Jillan jeta un coup d'œil au ciel ; Souris pouvait se calmer, il ne neigerait pas de sitôt.

– Ah ! J'aperçois Fanie, Arysia, Galtawell et tous ces bourgeux qui font partie de la Ligue ! s'écria Antilope.

Elle sauta du balcon, atterrit lestement pas loin de Jillan. Puis elle fit mine d'épousseter sa jupe.

Corbeau choisit de ne pas noter sa remarque sur la Ligue, car il claqua de la langue.

– Alors allons-y.

Tandis que Souris prenait le bras du Mentor – ils étaient tous deux censés se faire passer pour un couple – Antilope se mit derrière eux, et Jillan prit la tête de leur groupe. Ils sortirent de la ruelle, ne purent rater la procession que formait la Ligue.

Association de bleu dragée, vert opaline et rouge amarante, les membres de la Ligues à Cornes se dirigeaient, la tête haute, vers l'Étoile. Tous se trouvaient déjà dans leur forme complète, si bien qu'ils portaient avec fierté leurs cornes. Certaines femmes avaient même accroché des chaînettes et autres bijoux à celles-ci, tandis que les hommes arboraient des peintures sur les leurs.

Souris, Corbeau, Antilope et Jillan ne tardèrent pas à prendre à leur tour leur forme complète. Bien que leurs cornes étaient vierges de toute décoration, cela n'en faisait pas moins d'eux des membres à part entière de la Ligue.

Jillan jeta un regard par-dessus son épaule, sentit le poids de ses cornes sur sa tête. Antilope se tenait légèrement en retrait, pour laisser croire qu'elle était seule, ses cornes de taureau imposantes et menaçantes. Souris et Corbeau, bras dessus bras dessous, avaient les leurs, de bélier, s'enroulant doucement, et s'effleurant presque. Si Jillan ne les connaissait pas, il ne pourrait jamais se douter qu'ils n'étaient pas ensemble.

Lui agrandit son pas, sans laisser penser qu'il était pressé. Il devait absolument retrouver les membres de la Ligue avant que celle-ci ne pénètre dans l'Étoile. En quelques enjambés, laissant des traces dans la neige ayant perdue sa blancheur depuis longtemps, il rattrapa la procession. Sans hésiter, il se plaça dans celle-ci, juste derrière la sénatrice Arysia Taureau, impeccable dans sa robe amarante, qui ne lui accorda même pas un regard (en même temps, il reconnaissait qu'il aurait été surpris si elle avait réagi autrement).

Il ne suscita pas la surprise parmi les autres membres de la Ligue. Certains le saluèrent même. Certes, Jillan savait qu'ils avaient tous des soupçons à son sujet. Mais cela faisait partie de son rôle.

Grâce à Arysia, son ancienne Mentor personnelle, il pouvait se glisser sans difficulté dans le personnage de Mihlo Darcov, un mystérieux capricorne proche de la sénatrice. Il fallait bien l'avouer, c'était l'un de ses rôles favoris, peut-être parce qu'il s'agissait du premier qu'il avait inventé, n'étant alors qu'un Apprenti.

Les aristocrates avec qui Jillan se trouvait ne prenaient pas la peine de murmurer. Tous avaient l'habitude de faire savoir qu'ils étaient là, qu'ils avaient de l'importance, du pouvoir. Tous étaient plus orgueilleux les uns que les autres, possédaient un ego surdimensionné. Lui s'estimait heureux de ne pas faire partie de ce monde de vipères et de masque.

Puis il pénétra dans l'Étoile.

S'il était encore un gamin – et avait été un gamin qui se faisait surprendre aisément – il aurait été bouche bée face à la magnificence qu'affichait le petit château. Le sol était fait de cette pierre noire écaillée appelée « sang-du-dragon » qu'extrayait et vendait le Gordong. Avec les murs constitués de la même pierre foncée que la façade, l'intérieur de l'Étoile pourrait paraître bien sombre. Pourtant, cette obscurité faisait ressortir les tenues des invités, ainsi que les étendards vert d'eau cancers du sénateur Reyruh.

Jillan sentit les frissonnements de choc, de colère, de surprise de la Ligue face à cette démonstration de puissance. Du coin de l'œil, il crut même voir la dirigeante Fanie Bélier serrer les poings. Il se fit la réflexion que cela n'était pas bien malin de la part de Reyruh de se vanter alors qu'il avait invité la dirigeante.

  Toutefois, Jillan comprenait bien mieux la raison de leur présence, à ses camarades et lui.

Depuis toujours, la Ligue se méfiait de l'Alliance Aquatique, dont faisait partie les poissons d'Amrynen, les scorpions de Roumys, et les cancers de Genibel. Et aujourd'hui, Fanie soupçonnait l'Alliance de comploter dans son dos.

Tout le monde le savait, et Jillan aussi : la dirigeante, ayant une formation militaire derrière elle et ayant été reconnue comme une stratège de génie, n'était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Il y avait une demi-douzaine d'années, lors de son élection, elle s'était empressée de montrer l'étendue de son pouvoir, en parvenant à garder ses adversaires et ennemis sous ses yeux, tout en les destituant de leurs fonctions à l'aide des meilleurs arguments qu'ils soient : les secrets que lui rapportaient ses Espions.

Prythine Scorpion était sournoise, fine, mais loin d'être idiote ; elle savait qu'avec la Ligue au pouvoir, ses Assassins ne pourraient pas l'aider, si bien qu'elle se tenait dans l'ombre. Fadem Poisson, lui, était l'une des plus grandes fortunes de l'Astriale – il ne payait ses employés qu'avec des thenes triangle-or – , un excellent négociateur, bien que c'était une véritable cervelle d'oiseau. Enfin, Reyruh était sans aucun doute le plus dangereux des trois, même s'il était bien trop pressé.

Fanie Bélier souhaitait que les Espions fouillent l'Étoile, d'où l'important effectif que formait Jillan et ses compagnons. En plein jour, même en parvenant à s'introduire dans l'Étoile, il aurait été compliqué pour eux de trouver des informations.

Mais en pleine fête, et ayant toute une soirée pour cette activité, ils étaient capables de faire des merveilles.

Jillan n'eut même pas besoin de regarder derrière lui pour deviner que Souris, Corbeau et Antilope s'étaient dispersés au moment même où ils avaient rejoins la foule formée par les invités. S'il avait été stupide (ou un espion lambda) il aurait fait de même. Or il ne l'était pas.

Mihlo Darcov était populaire. Toute la haute société le connaissait, si bien qu'il était de son devoir de faire acte de présence. Il devrait passer au moins une heure parmi ces personnes, pour montrer qu'il était là, pour discuter (ou non), pour que tous possèdent une image de lui en tête. Avec l'alcool qu'ils absorberaient plus tard dans la soirée, les invités ne se souviendraient plus à quelle heure ils l'auraient vu.

Et, avec ces alibis plus que douteux, Jillan était certain qu'on penserait l'avoir vu toute la soirée, ce qui lui laissait champ libre.

Il se rendit dans le fond de la salle, évitant facilement les invités. Un coup d'œil sur ces derniers lui permettait de savoir de quelle espèce ils étaient. Les gémeaux, toujours à deux, en orange aurore. Les cancers vert opaline et leurs pinces. Les lions vêtus de rouge alizarine avec leur crinière splendide. Les vierges, possédant une beauté à couper le souffle, en bleu céruléen. Les balances vert lichen, ayant des visages (et des corps) parfaitement symétriques. Les scorpions, avec leur aiguillon, en grenat. Les sagittaires en gris perle avec la moitié de leur corps semblable à celui d'un cheval. Les verseaux de lavande, incapables de se séparer de leur vase. Et enfin, les poissons bleu smalt et leurs écailles recouvrant leur peau.

Toute la haute noblesse du cercle supérieur était là. Parmi elle, Jillan voyait de temps en temps un aristocrate humain, repérable par l'absence de signe distinctif, par les couleurs insipides et dépareillées qu'il portait.

Faisant mine d'écouter les musiciens – très doués, soit dit en passant – Jillan observait les convives se mettre en place au centre de la grande salle, se préparant à danser. Au loin, Fanie Bélier discutait avec les jumelles Ilyna et Elyna Gémeaux, Noal Vierge, Téonal Lion, Galtwell Capricorne, et Reyruh Cancer. Il nota que derrière Noal Vierge, se tenait une jeune femme en uniforme, bien droite, ayant gardé sa forme de camouflage (car il ne faisait aucun doute qu'elle n'était pas humaine).

Il haussa un sourcil imperceptible, se demandant où se trouvait la sénatrice Arysia Taureau. Puis en sentant une présence à ses côtés, il eut sa réponse.

– Bonjour Arysia.

Jillan était certainement le seul Espion qui pouvait appeler la sénatrice par son prénom sans risquer de finir sans tête sur les épaules. En même temps, il fallait reconnaître que terminer ses phrase par des « ma Dame » à chaque fois était fatiguant et agaçant, surtout quand on était Apprenti. Même Arysia s'en était rendue compte, c'était pour dire !

– Bonjour Mihlo, répondit-elle.

Arysia ne prenait aucun risque, et ce ne serait jamais elle qui ferait sauter sa couverture. Jillan lui jeta un regard. Chose qui pourrait paraître incongru si l'on ne la connaissait pas, il constata qu'elle se démarquait volontairement des autres membres de la Ligue (Fanie Bélier et Galtawell Capricorne compris). Elle avait fait peinturer ses cornes en argent clair, avant de faire ajouter des spirales et boucles à la peinture dorée, créant l'illusion qu'il s'agissait de ses cheveux. Le tout était agrémenté de quelques opales accrochées à des chaînettes d'or.

On pourrait penser que cela serait ridicule, bien trop lourd, pourtant c'était tout le contraire. Arysia semblait couronnée d'or, lui donnant une prestance impressionnante accentuant son charisme naturel. Ce mélange d'or, d'argent, assorti à sa tenue amarante faisait ressortir ses iris smaragdin.

  Une coupe de vin pétillant de l'Elwiss à la main (un excellent cru, songea Jillan), la sénatrice se tenait bien droite, comme à son habitude, et le menton légèrement levé. Sa position trahissait son éducation militaire, à moins qu'elle ne fasse exprès de la rappeler à tous.

Elle lui arrivait juste sous les yeux, pourtant Jillan savait que pour tout le monde, l'identité du meneur n'était pas un mystère.

– Alors ? fit Arysia.

Elle n'avait pas besoin d'en dire plus pour que Jillan sache de quoi elle parlait. D'ailleurs, ce n'était pas pour rien qu'il s'était rendu dans la fond de la salle, tout près des musiciens. La musique dissimulait leurs paroles à n'importe qui, bien qu'eux pouvaient s'entendre.

– Rien à signaler de bien important depuis votre départ, déclara-t-il. Vous êtes déjà au courant des choses les plus notables sur les autres partis. L'Association est toujours aussi pauvre et friande des échanges au noir. La Caste laisse toujours penser qu'elle se bat contre l'injustice. Et quant à l'Alliance, vous aurez des réponses ce soir.

– En soit, rien de nouveau. Tu serais surpris de constater que nous paraissons moins ignorants que nous vous laissons le croire.

Comment cela ? Que voulait dire Arysia par cette dernière remarque ? Normalement, la Ligue acquérait ses informations uniquement grâce aux Espions, et la Ligue était loin d'être ignorante. Que pouvait-elle donc savoir que lui, ne savait pas ?

Il aurait bien posé la question, mais à l'air affiché par la sénatrice, il devinait sans mal qu'elle ne lui répondrait pas. Elle aimait les annonces scandaleuses, théâtrales, adorait garder ses secrets. À la place, Jillan se concentra sur autre chose.

– Si je peux me permettre une observation, je pense qu'il faudrait garder un œil sur l'Association aussi. Il paraît qu'elle envisage de s'orienter dans le trafique d'êtres vivants, sans oublier qu'elle exploite les Weliens. C'est une injustice que nous ne devrions pas laisser faire.

Arysia lui jeta un regard froid – ce qui, Jillan le savait, signifiait qu'elle était surprise, généralement dans le bon sens du terme, ou amusée. Depuis qu'il la connaissait, il avait apprit à déchiffrer ses mimiques.

Nous ? ricana-t-elle, ah ! Par Ismène, tu as toujours eu un sens de la justice développé. Crois-tu que je n'ai pas remarqué que, si tu le pouvais, tu referais le monde ? La moindre injustice te met hors de toi. Tu n'es pas politicien, tu ne portes pas sur tes épaules le poids d'une simple décision. Toutefois, tu ne peux rien y faire. Je comprends ta réaction, sincèrement, mais le bien de l'Astriale passe avant quelques injustices.

Jillan se retint de grincer des dents. Se faire réprimander comme un Apprenti lui déplaisait. Bien entendu, il n'était pas d'accord avec Arysia. S'il était à sa place, il s'occuperait en priorité de ces « quelques » injustices. Il ne réfléchissait pas comme les aristocrates, il avait grandi avec la lie du peuple.

Pour lui, les sénateurs et la dirigeante n'accordaient pas assez d'attention à ces injustices. Mais qui était-il pour le leur faire remarquer ? Personne, à son grand dam.

– Vous avez raison, fit-il bien que ces paroles lui coûtaient.

Il n'était pas assez idiot pour lancer un débat qui n'aurait aucune fin. La sénatrice faisait partie de ces personnes qui souhaitaient toujours avoir le dernier mot. Autant couper court à la conversation avant, même si son avis à lui ne changerait pas.

Arysia haussa une épaule avec désinvolture, l'air de dire « bien entendu, comme toujours ». Jillan devina que la conversation était close, si bien qu'il emboîta le pas à la sénatrice lorsque celle-ci se dirigea vers le groupe de la dirigeante.

Après tout, il se faisait passer pour Mihlo Darcov, un capricorne au service d'Arysia Taureau.

Il se rendit compte immédiatement que la tension était tendue dans le petit groupe. Fanie Bélier pinçait les lèvres, ses yeux bleus assombris, tandis que les jointures de Reyruh Cancer blanchissaient autour de son verre. Les autres restaient silencieux, même s'ils s'étaient divisés imperceptiblement, se plaçant dans leur camp. Ainsi, les sénatrices Ilyna et Elyna Gémeaux étaient aux côtés de Reyruh Cancer, tout comme Téonal Lion (Jillan nota cette information, car étant membre de la Caste, ce sénateur était censé être un allié de la dirigeante). De l'autre côté, on retrouvait évidemment Galtawell Capricorne, et Noal Vierge (toujours accompagnée de la jeune femme à l'uniforme).

Arysia Taureau n'eut nullement besoin de forcer pour s'intégrer, telle une fleur, dans le groupe. Un sourire froid, presque cruel sur les lèvres, elle faisait distraitement tourner son vin pétillant dans son verre.

– Alors alors, je constate que la bonne humeur est de mise ici, déclara-t-elle, sarcastique.

Jillan l'avait déjà vu mettre les pieds dans le plat ainsi. Et il savait ce que cela signifiait ; elle allait commettre une esclandre.

– Arysia, je ne suis pas sûr que ce soit le moment de faire ce genre de constatation, répliqua Téonal Lion.

La sénatrice perdit son sourire, plissa les paupières. Arysia Taureau et Téonal Lion se détestaient depuis toujours. D'ordinaire, ils ne s'adressaient même pas la parole. Si bien que Jillan ne fut pas étonnée de la voir devenir agressive.

– Oh, mon cher Téonal, il est toujours temps pour énoncer des faits indiscutables, même s'il ne sera bientôt plus temps pour vous de devenir bien plus vif. D'ailleurs, étant donné que la franchise est mise sur le plateau, n'avez-vous rien à nous dire, Reyruh ? Je vous offre une jolie occasion de vous rattraper, alors saisissez-là, mon cher.

Jillan vit le regard que jetait Fanie Bélier à Reyruh Cancer, tandis que celui-ci serrait un peu plus son verre ; il aurait pu le tuer. La dirigeante releva le menton, repoussa une mèche rousse dans son dos.

– Arysia ne prend peut-être pas de pincettes, mais je suis tout à fait en accord avec elle. Ne faites pas cette tête, Reyruh ! Pensiez-vous vraiment que vous pourriez nous cacher vos petits secrets ? Ne vous ai-je pas conseillé de jouer franc-jeu avec la Ligue ?

Reyruh Cancer ne répondit pas. Il gardait incroyablement bien son sang-froid, alors qu'il ne faisait aucun doute que la dirigeante l'avait acculé. Arysia buvait du petit lait tout en sirotant sa boisson ; parfois, Jillan la soupçonnait d'être un tantinet vicieuse.

Fanie Bélier se tint encore un peu plus droite, autant que cela était possible. Il faudrait être une vraie cervelle d'oiseau pour ne pas se rendre compte qu'elle était impressionnante, pouvait même se révéler dangereuse. Après tout, ce n'était pas pour rien qu'elle avait été général dans l'armée, durant la guerre au Continent.

– Reconnaissez vos fautes, Reyruh, et peut-être – je dis bien peut-être – accepterai-je de vous pardonner.

– Que faudrait-il que je reconnaisse, ma Dame ? répliqua le sénateur et Jillan le traita mentalement d'abruti, de fa'dingue.

Galtawell Capricorne s'avança. Ainsi, les deux sénateurs de la Ligue à Cornes entouraient la dirigeante. Jillan devina sans mal que cela n'était pas dû au hasard – rien n'était jamais dû au hasard, en politique.

Pourtant, il se posa une question. Qu'avait la Ligue contre Reyruh Cancer ? Lui n'était au courant de rien, et il était persuadé que les Espions étaient dans la même ignorance que lui, ou jamais Souris, Corbeau et Antilope seraient en train de parcourir les couloirs de l'Étoile.

La Ligue aurait-elle donc d'autres alliés ?

– Ah, Reyruh ! soupira théâtralement Galtawell Capricorne, quel dommage ! Je vous appréciais, sincèrement. Que vous a-t-il prit de nous trahir ?

Reyruh Cancer eut l'intelligence de ne rien dire, de ne pas nier.

– Noal, pouvez-vous parler du rapport que vous avez obtenu auprès de vos Érudits, s'il vous plaît ? questionna Fanie Bélier.

Noal Vierge acquiesça d'un mouvement sec, sa chevelure presque aussi blanche que la neige agitée d'une onde. Jillan ne la connaissait pas vraiment, mais il savait que Noal Vierge et Fanie Bélier avaient le même âge, et qu'elles étaient proches du temps où la dirigeante n'était que sénatrice.

– Vous savez que mes Érudits analysent n'importe quelle information qui leur tombe entre les mains. Ils étudient tout : l'économie, le social, la politique, et cetera. Et il se trouve que, pas plus tard que la semaine dernière, alors que j'étais à Ylthenas, j'ai reçu un rapport on ne peut plus intéressant. En effet, il se trouve que vous, Reyruh Cancer, avait fortement échangé avec les seigneurs des familles Ainet et Lyflosarn, ainsi qu'avec la dame Naluwyn, tous trois membres de la Caste des Lettrés. Cela a retenu l'attention de mes Érudits, et pour cause ! Je ne fais guère confiance à ces trois familles, qui sont connus en Nulan pour leur allégeance douteuse. Elles semblaient plutôt calmes depuis des années, mais savoir qu'elles paraissaient proches de vous a mis la puce à l'oreille de mes Érudits.

Noal Vierge fit une pause. Jillan devinait qu'elle n'avait aucun mal à se rappeler des termes de ce rapport, avec son don de mémoire absolue. Il vit aussi les jumelles Ilyna et Elyna Gémeaux se jeter un regard, avant de se déplacer doucement pour se poser du côté de la dirigeante. Leur soutient venait de changer de côté.

Jillan fut surpris de constater que Téonal Lion aussi avait changé de place. Il ne l'avait pas vu faire, alors qu'il était excellent observateur.

– Mes Érudits, reprit Noal Vierge, avec l'aide des Détailleuses d'Uwal Sagittaire, se sont penchés sur les activités des Naluwyn, Ainet et Lyflosarn. Comme d'habitude, les Détailleuses sont à la hauteur de leur réputation : elles ont immédiatement comprit ce qui dérangeait les Érudits. (Elle fit un geste vers la jeune femme en uniforme, qui s'avança). Voici la meneuse des Détailleuses, Cherlyn Veleress. Je la laisse vous présenter le problème.

Cherlyn Veleress hocha la tête. Bien droite, et malgré tout imposante dans son uniforme de Détailleuse, elle expliqua :

– Il se trouve que, depuis deux ans, ces grandes familles passent plusieurs commandes d'herbe d'ombre blanche. Tout le monde sait qu'il s'agit d'un puissant narcoleptique n'affectant que le cercle astral, les béliers, les taureaux et les capricornes. Et tout le monde sait que cette herbe a été utilisée comme arme durant la Première Grande Guerre. Cependant, non seulement ces familles ont fait cette commande, mais qui plus est, il a été remarqué qu'elles stockaient de nombreux globes lumineux.

Jillan n'avait même pas besoin de réfléchir pour deviner ce qu'allait dire Cherlyn Veleress, car il savait très bien ce que l'on pouvait faire avec des globes lumineux et de l'herbe d'ombre blanche. Des globes-bombes. On leur apprenait à en faire, chez les Espions, pour être capables de les éteindre avant qu'ils ne fassent trop de dégâts.

Tandis que Reyruh Cancer blanchissait à vue d'œil, Jillan remarqua distraitement une domestique humaine, un plateau à la main, et un convive balance venir vers eux. Il écouta la suite du rapport de la Détailleuse.

– Des globes-bombes ont été fabriqués, affirma-t-elle, car certains armuriers ont reconnus que ces familles ont fait appel à eux. Jusque là, on pourrait penser qu'il n'y a aucun rapport avec Monseigneur Reyruh, mais écoutez la suite. Ces globes-bombes ne sont pas restés en Nulan. C'est ce que les Érudits et nous, les Détailleuses, en ont déduits en remarquant le nombre de convois qui partaient des villages appartenant aux territoires de ces familles pour Genibel.

– Merci, Mme Veleress, fit Noal Vierge. Je suis certaine que, si l'on faisait fouiller l'Étoile, on les retrouverait. Ai-je tord ?

Un silence (enfin, cela en donnait l'impression, même si la musique continuait de résonner et les autres convives de discuter entre-eux). Reyruh Cancer était aussi blanc que les cheveux de Noal Vierge. Arysia Taureau ricana de plus belle, tandis que Fanie Bélier jugeait le sénateur. Celui-ci jeta un coup d'œil désespéré.

Jillan suivit son regard, qui se posa de nouveau sur la domestique et le convive balance. Il cilla. Était-ce vraiment ces deux personnes qu'observaient Reyruh Cancer ? La domestique et le convive semblaient juste se rendre de l'autre côté du groupe que formaient les sénateurs, la dirigeante et lui.

Puis Jillan remarqua l'air de la domestique. Son front était humide de transpiration, les verres sur son plateau s'entrechoquaient doucement. Ses yeux observaient les alentours à une vitesse folle, jusqu'à se fixer sur lui lorsqu'elle réalisa qu'il l'observait. Elle semblait morte de peur.

Tout le contraire du convive balance ! Lui paraissait à son aise, dans son élément, bien qu'il était étrange qu'il suive ainsi une domestique, et ait une main dans son dos. Son visage parfaitement symétrique ne laissait rien transparaître, à part une sombre détermination. Son ombre le suivait par terre, et pour une raison inconnue, Jillan la trouva bien épaisse.

Il reporta son attention sur la domestique, qui articula en silence deux mots. Il pinça les lèvres, détestant décidément tout ce qui se rapportait aux lettres, tandis que la domestique répétait inlassablement les mêmes mots. Jillan parvint enfin à les déchiffrer, alors qu'ils étaient tous deux à moins de deux mètres du petit groupe.

Au-secours. Terroriste.

Il crut avoir mal compris, avant de capter un éclat dans le dos de la domestique. Il connaissait cet éclat.

Puis tout se passa très vite.

Le convive repoussa brusquement la domestique, mettant au clair son poignard. En moins de deux secondes, il bondit vers la dirigeante Fanie Bélier, qui était dos à lui. Jillan était bien plus réactif.

– Attention ! s'écria-t-il en bondissant à son tour.

La dirigeante pivota sur ses talons au moment même où Jillan l'attrapait par les épaules pour l'éloigner de l'arme meurtrière. Il voulut se retourner pour arrêter le balance, mais celui-ci était bien trop près d'eux. C'était ce qu'il réalisa quand il sentit une brûlure dans le bas de son dos.

Le balance retira son couteau, causant une nouvelle douleur à Jillan. Il tenta de l'ignorer, tout en faisant appel à son don de capricorne pour recouvrir la plaie d'une fine couche de glace, essayant d'arrêter l'hémorragie. Il ralentit également sa respiration pour que les battements de son cœur aillent moins vite, et envoient moins de sang. En pivotant vers son attaquant, il se rendit compte que sa tête lui tournait déjà, et que le moindre mouvement lui causait une souffrance sans nom.

Pourtant, il ne s'attarda pas sur ces détails. Pas quand la dirigeante de l'Astriale était en danger.

– Un attentat ! hurla quelqu'un, qu'on appelle les soldats !

Le balance se tenait face à Jillan, et s'apprêtait à relancer son poignard dans sa direction, certainement pour le tuer. Lui ne se laissa pas faire. Il était Espion, peut-être le meilleur de sa confrérie. Il n'allait pas se faire trouer la peau un peu plus par un trouffion de terroriste.

Il s'empressa de sortir la dague qu'il gardait en permanence cachée dans sa botte, avant de se glisser sous la garde de son adversaire. Un coup de poing bien placé désarma se dernier. Jillan abattit ensuite le manche de son arme (mort, son terroriste ne dirait plus grand-chose) sur la tempe du balance pour l'assommer, peut-être un peu fort au vu du sang qui gicla.

En tombant, il entraîna Jillan, qui grogna de douleur alors qu'il sentait la couche de glace se fissurer. Le sang coula de plus belle. En voulant se relever, la vue toujours trouble et l'ouïe désormais mauvaise, il glissa dans une mare de liquide poisseux, retomba au sol.

Il se souvint, à la dernière minute, sans que cela n'ait aucun rapport, que c'était aujourd'hui son anniversaire. Un coup de poignard dans les reins, le jour de mes dix-sept ans ; je n'aurais jamais rêvé de plus beau cadeau, pensa-t-il avec cynisme. Il se sentait tellement fatigué ! Il aimerait tant dormir !

On va fermer les yeux une seconde. Juste une seconde.

Pourtant, il ne les ouvrit pas après cette seconde, évanoui à son tour.
___
Publié le 08/05/2021

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