Chapitre 23.III

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  𝓐près avoir mené ses recherches, Jillan arriva enfin devant le chantier d'une maison. Ironie : il s'agissait d'une reconstitution, suite à un incendie. Les ouvriers allaient encore avoir du travail, après.

  Jillan avait quitté l'auberge dans laquelle il logeait avec le reste de son groupe. Il l'avait quitté si tôt, qu'il avait uniquement croisé Emyria, qui buvait tranquillement son kaffeh en lisant le journal de la veille, dans la salle commune. Il devinait que Téonary et Narval dormaient encore à poing fermé.

  Le chantier face à lui produisait beaucoup de bruit, avec les marteaux qui frappaient les clous, et les scies qui coupaient le bois. Il fut étonné que personne ne se plaigne. À moins que les Buuloniens y soient habitués.

  Il n'était même pas huit heures du matin, pourtant la chaleur sèche se faisait déjà sentir. Les quelques ouvriers que Jillan aperçut étaient trempés de sueur.

  Puis Jillan repéra l'homme qui devait être le patron, à sa façon de sa promener entres les ouvriers. Il inspira, avant de s'avancer vers le chantier.

  – Monsieur ? Monsieur ? Vous êtes bien M. Llemien ?

  L'homme s'arrêta, et se retourna vers Jillan, l'air surpris et curieux.

  – En effet, et vous êtes... ?

Jillan n'avait pas l'intention de parler de lui. Il détestait cela, et en plus, il trouvait cela imprudent.

  – Monsieur, je voulais savoir si vous aviez eu un employé du nom de Mowee Lejiner, il y a environ vingt ans, demanda Jillan sans répondre à la question de M. Llemien.

  Celui-ci haussa un sourcil, tout en se caressant le menton recouvert d'une barbe de quelques jours – il devait mourir de chaud.

  – Oui. Pauvre Mowee ! C'était un gars bien. Je n'aurais jamais dû le virer. Il avait raison, et moi, je ne l'ai pas cru. À cause de moi, il a voulu se rendre justice, et il a été pendu. Pourquoi me posez-vous cette question ?

  – Vous savez s'il avait une famille ?

  – Écoutez, jeune homme, je veux bien vous parler de Mowee Lejiner, mais il faudrait peut-être que vous cessiez de répondre à mes questions par d'autres, fit M. Llemien en croisant les bras. Pourquoi me posez-vous ces questions ? Mowee est mort il y a vingt ans, et pendant vingt ans, personne ne m'a parlé de lui. J'aimerais bien savoir pourquoi, tout d'un coup, quelqu'un s'intéresse à sa vie. Si c'est pour assombrir son souvenir, ne comptez pas sur moi. (Il plissa les yeux, méfiant). Et si c'est pour le venger, en me faisant quelque mal, croyez bien que je ne suis pas sans défense.

  Jillan réfléchit, sentant la situation lui échapper. Il avait toujours été mauvais argumenter. Il n'avait pas vraiment envie de parler de lui. Cependant, il fallait bien faire des concessions, dans la vie. Il avait besoin de savoir s'il était ou non le fils de Mowee.

  – Je pense que je suis peut-être son fils, avança-t-il prudemment.

  – Jillan Lejiner ?

  Il faillit grimacer face à ce nom. C'était bien la première fois qu'on l'appelait ainsi, il n'y était pas habitué.

  – Je n'en sais rien. Je m'appelle bien Jillan, mais étant orphelin, on m'a donné le nom Amryna. J'étais à l'orphelinat pour garçons de Buulo, il y a presque dix ans. J'aurai dix-neuf ans, en Capriner. Et je suis également capricorne.

  M. Llemien le dévisagea, avant de l'observer de la tête aux pieds, hocha distraitement de la tête.

  – Oui, vous pourriez être son fils ; vous lui ressemblez beaucoup. Je dirais même que vous êtes son portrait craché. Écoutez, ça remonte il y a longtemps. Mais bon, je ne pense pas qu'il y ait dix milles orphelins de Buulo s'appelant Jillan, étant capricorne, et ayant dix-huit ans. Il ne fait aucun doute que vous êtes le fils de Mowee.

  Jillan s'y était préparé, pourtant, il ne put s'empêcher d'être surpris. Il n'avait jamais pu mettre de nom sur son géniteur. Maintenant que c'était chose faite, et même si cela ne lui faisait presque rien, il pouvait reprendre sa vie.

  Enfin, il aimerait bien, mais il était curieux. Omâhn lui avait parlé de sa mère. Jillan ne voulait pas approcher l'homme de trop près, surtout pour passer un marché avec lui, mais il voulait savoir. Il avait déjà répondu à la moitié de son interrogation.

  – M. Llemien, je peux vous poser une dernière question ?

  – Tant qu'on y est... allez-y.

  – Est-ce que vous connaissez ma mère ?

  – Non, désolé. D'ailleurs, ça a surpris tout le monde, quand on a apprit que Mowee avait un fils. Personne ne savait qu'il fréquentait une fille. Un jour, il n'avait aucune famille, célibataire endurci et solitaire, le lendemain, on apprenait qu'il avait un fils à charge. Je crois que mes gars ont essayé de le cuisiner, mais Mowee n'a jamais rien dit. Il aurait mieux fait : ça vous aurez évité l'orphelinat. Mais bon, le passé est passé.

  Jillan le remercia, avant de le laisser retourner travailler. Il déambula dans les rues à l'odeur nauséabonde, ne souhaitant pas retrouver de suite ses camarades. Il avait besoin de réfléchir.

  Au moins, Omâhn ne lui avait pas menti. Son père était bien Mowee Lejiner. Ainsi, il devait certainement connaître l'identité de sa mère. Cette femme, qui l'avait abandonné dès la naissance, ne voulant pas de lui. Jillan ne la pensait pas morte, à la façon dont Omâhn avait parlé d'elle.

  Il serra les poings. Autant il pouvait regretter la perte de son père – un homme qui s'était décarcassé pour tenter de s'en sortir, injustement mort – autant il était en colère après sa génitrice.

  Alors qu'il maudissait celle-ci de tous les noms, un souvenir, n'ayant en apparence aucun rapport, lui revint à l'esprit. La veille, lorsqu'il était prisonnier des flammes, juste avant que Téonary le rejoigne, il avait aperçut une silhouette qui lui disait quelque chose.

  Étant persuadé de mourir, il n'avait pas cherché à identifier celle-ci. Pourtant, en marchant, il réalisa une chose.

  Il venait de retrouver le nom de cette silhouette. Il savait de qui il s'agissait.

  Et il allait le confronter pour ses crimes, car il ne faisait aucun doute qu'il était l'instigateur de l'incendie.
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Publié le 07/08/2021

L'Astriale - Les Ombres de l'Hiver T1 [TERMINÉ]Where stories live. Discover now