Chapitre 9.I : Le retour de la sénatrice

85 15 0
                                    

En 1409, à l'âge de dix-neuf ans, Arysia Leynilie est devenue la plus jeune sénatrice de l'Astriale depuis plus d'un siècle. Elle est issue de la prestigieuse et ancienne maison Leynilie, dont le territoire comprend les villages luniens de Rive-de-Spectres, Neige-de-Miel et Orange-de-Glace. Il est nécessaire d'expliquer que, sans la disparition soudaine de son frère aîné, Fabre Leynilie, Arysia Leynilie ne serait certainement pas devenue sénatrice, et serait restée au Continent, à la guerre, avec sa formation militaire.
Les sénateurs de l'Astriale, chapitre II « Les sénateurs taureaux », d'Engelic I. Jacelyn, an 1674.

– 𝓓écidément, je ne comprends pas comment tu fais pour arriver ici toutes les semaines, ma filiotte, s'étonna malgré elle Nylo en appliquant son onguent sur la cheville de Téo.

  Cette dernière grimaça tandis que la guérisseuse étalait la pommade à l'étrange odeur. Dans son coin, Chouette soupira en réajustant ses binocles, elle-même désespérée par le fait d'emmener son Apprentie toutes les semaines chez Nylo.

  — Parce que tu penses que j'en possède la réponse, vieille étoile ? répliqua Téo. J'ai beau savoir beaucoup de choses, je n'ai pas encore la réponse à tout.

  – Je pense que je vais devoir te donner des bons de fidélité, ajouta Nylo en ignorant son sarcasme.

  Après s'être cassée le bras le premier jour d'entraînement, Téo avait réussi l'exploit de recevoir une épée de bois dans le nez par Wuly la semaine suivante, sans oublier le jour où elle avait failli s'empoisonner (découvrant par la même occasion qu'elle était mortellement allergique à une épice appelée verfeuille).

  Heureusement, étant en cours avec Nylo, elle avait survécu.

  Et aujourd'hui, elle avait glissé sur la glace des capricornes pendant le cours de Maîtrise de Don, étant encore en retard. Si bien que selon Nylo, elle avait gagné une belle entorse, mais qui allait vite passer grâce à son onguent elwissien, parce qu'elle était une guérisseuse des plus talentueuses.

Et après, on disait que c'était elle, la narcissique !

Téo avait été surprise en constatant que Nylo connaissait de nombreux remèdes elwissiens. N'ayant pu réfréner sa curiosité, elle en avait posé la question, et avait apprit que Nylo n'était pas une fey astrialaise comme elle l'avait cru au premier abord, mais bel et bien une fey elwissienne. Elle avait juste quitté son pays d'origine il y avait presque un siècle.

  – Tu penses que ce sera passé dans combien de temps ? questionna Chouette.

  – Eh bien, cette cheville devrait être comme neuve dans un jour ou deux. Mais grâce à un ingrédient qu'il y a dans ma pommade, Téo pourra déjà remarcher quand j'aurais finis de la tartiner, bien qu'elle risque de boiter. Pourquoi donc ?

  – Arysia Taureau doit rentrer aujourd'hui. Étant donné le fait que Téo est arrivée le mois dernier, son dossier doit être examiné par elle.

  Téo se retint de signaler sa présence – elle ne supportait pas que l'on parle d'elle à la troisième personne alors qu'elle était présente. Pourtant, elle ne pipa mot, préférant tendre l'oreille, et en apprendre le plus possible. Elle commençait enfin à retenir les leçons des Espions.

  – Pet de Tenebris ! Elle s'est enfin décidée à pointer son nez, celle-là, marmonna si bas Nylo que seule Téo put l'entendre.

  Visiblement, elle n'appréciait pas la sénatrice. Téo lui aurait bien demandé pourquoi, mais elle devinait qu'on ne lui aurait rien dit avec la présence de Chouette. Elle éternua d'un coup.

  – Dis Nylo, qu'y a-t-il dans ton onguent pour que cela sente si mauvais ? Cela agresse mes pauvres sinus, et il serait fort embêtant que cela blesse mon excellent odorat...

  Elle fronça le nez, tandis que l'odeur de la pommade pénétrait dans ses narines. Oui, décidément, cela lui était très déplaisant. Elle renifla, s'empêcha d'éternuer de nouveau – ce qui lui fit monter les larmes aux yeux, et renifler de plus belle.

  Relevant le nez de sa tâche, Nylo plissa ses yeux aigue-marine dans sa direction. Elle semblait se demander quelle mouche l'avait piqué pour qu'elle pose une telle question. Et Téo savait pourquoi elle avait cette réaction : ordinairement, dès qu'elle venait ici suite à une blessure, pour passer le temps, elle s'amusait à identifier à l'odeur les plantes constituant potions, cataplasmes et onguents. Elle était d'ailleurs très douée à ce petit jeu, et aurait fait un sans-faute pour l'instant si elle connaissait toutes les herbes.

  – Ne me dit pas non plus que tu es tombée malade pour avoir l'odorat aussi bouché ! s'exclama Nylo.

  – Non. C'est juste que cela sent tellement mauvais que cela masque toutes les autres odeurs. Ce serait comme tenter de percevoir l'odeur d'une rose de l'aube sous celle d'une génisse.

  – Tss, c'est surtout que tu fais pas d'effort, ma filiotte ! Concentre-toi un peu, âme noire, sinon je jure que tu m'aideras à faire cet onguent tant de fois que tu connaîtra par cœur la liste des ingrédients ! Et crois-moi, sa confection n'est pas agréable du tout.

  Téo soupira. Elle aurait peut-être mieux fait de ne pas vouloir satisfaire sa curiosité. La voilà en train de se faire réprimander parce qu'elle n'avait pas prit la peine de décortiquer les senteurs qu'elle percevait !

  Elle fronça le nez tout en respirant l'odeur de l'onguent que Nylo lui avait mit juste sous le nez. Décidément, elle ne serait pas tranquille le temps qu'elle n'aurait pas trouvé au moins un de ses composants.

  – Allez, dépêche-toi un peu, par Tanwen ! Je ne vais pas passer ma journée ici ; je dois préparer mes prochains cours, déclara la guérisseuse.

  Téo se concentra enfin. Si Nylo insistait tant, cela signifiait qu'elle était forcément capable d'identifier quelques ingrédients dont elles avaient discuté ensemble. Elle essaya de faire abstraction de ces senteurs désagréables qu'elle ne reconnaissait pas, jusqu'à percevoir un fumet qui lui disait quelque chose.

  – Ah, ce n'est pas trop tôt ! s'écria la guérisseuse en voyant son expression faciale changer.

  – Je sais que je connais ce parfum hivernale, frais, marmotta Téo. Du sapin ? Non, ce n'est pas cet arôme. Une fleur ? Peut-être bien... Cela y est, je sais ! Du lys de neige !

  – Enfin ! Je commençais à croire que j'aurais littéralement dû te mettre le nez dedans pour que tu me donnes ce nom !

  – Je peux ? questionna Chouette en tendant la main vers le pot d'onguent.

  Elle renifla rapidement le contenu, grimaçant elle aussi face à cette mauvaise odeur. Téo la vit se concentrer. Pourtant sa Mentor personnelle secoua la tête.

  – Je ne le sens pas. On peut dire que tu as du nez, Téo.

  – Merci, je sais.

  Nylo ne put retenir un ricanement face à son narcissisme. Téo haussa un sourcil ; elle ne comprenait décidément pas pourquoi elle était la seule à s'enorgueillir de ses qualités. La guérisseuse récupéra son pot d'onguent, avant de le refermer et de tâter la cheville de Téo, qui commençait déjà à dégonfler.

  – Bon, je pense que tu peux remarcher. Mais évite de gambader comme un lapin fa'dingue, lui conseilla Nylo. Et à mon avis, tu risques de garder une fragilité sur cette cheville, donc fais attention.

  – Étoile, ça serait bien que tu ne sois pas trop abîmée pour le retour d'Arysia Taureau, ajouta Chouette.

  Téo leva les yeux au plafond, mais fit tout de même attention en descendant de son tabouret. Après tout, elle espérait faire bonne impression tout à l'heure.
___
Publié le 01/05/2021

L'Astriale - Les Ombres de l'Hiver T1 [TERMINÉ]Where stories live. Discover now