Chapitre 38

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Un changement d'allure me tire d'un sommeil béat. Je me redresse, l'épaule droite douloureuse. Après ce que j'assimile à la plus belle des déclarations d'amour sans même avoir entendu les trois mots magiques, je me suis endormi comme une masse. Normal après tout ce stress et cette nuit quasiment blanche.  

J'étouffe un bâillement et jette un regard au paysage. Cléandre vient de sortir de l'autoroute et s'engage sur un rond-point. Sur un des panneaux de la deuxième sortie, je reconnais le nom de la ville où il était au lycée. Cette ville où il a connu le grand amour avec Kaname. Cette ville où il a connu le plus grand drame de sa vie également. 

Je m'ébroue et m'étire, me réinstalle sur le siège. Mon plâtre me gratte, ma cheville s'engourdit et je ne peux rien y faire. Mais si je me fie au kilométrage du panneau, nous arrivons d'ici 6 kilomètres, autant dire que nous sommes déjà arrivés, ce qui m'angoisse un peu. Je vais rencontrer ses parents ! Ses vrais parents, ceux qui l'ont élevé !

Je ferme les yeux pour juguler une soudaine panique. Quand je les rouvre, Cléandre empreinte la troisième route. Pas la deuxième. Et voilà que ma panique se décuple. Quel coup est-il en train de me faire ?

– On va où ?

Même s'il reste concentré sur la route, mon amoureux plisse les yeux.

– Chez... mes parents. Tu te souviens, j'ai prévu de te les présenter aujourd'hui !

– C'est pour ça que ta mère et moi sommes dans la voiture, fils.

– Beau-papa, je vous avais dit qu'il avait dû se faire une commotion cérébrale dans cet accident ! Le cerveau doit être atteint.

Leur échange ne fait qu'augmenter mon angoisse : se serait-il passé quelque chose pendant que je dormais ? Je me penche sur Cléandre pour jeter un œil dans le rétroviseur. Bien, l'air désabusé de ma mère et celui inspiré de mon père ne laissent planer aucun doute.

La pression se relâche, je me laisse même aller à un sourire discret de les avoir percés à jour. 

– Tu sais, Cléandre, mon fils n'a pas besoin d'une commotion cérébrale pour avoir la cervelle en salade. 

Même si je suis le dindon de la farce, je ris de bon cœur, et j'en suis le premier surpris. Et sincèrement : que c'est bon de ne pas se vexer et de savoir rire de soi !

Cléandre, les épaules secouées d'un rire discret, tourne la tête vers moi et me jette son bonheur en pleine face. Mon cœur fond. Si j'étais dans un manga, pour sûr que je verrais des cœurs tout autour de son visage et des paillettes dans ses iris. 

C'est fou ce que ce garçon me rend fleur bleue ! 

Pendant un bref instant, sa main s'égare sur ma cuisse, si proche de mon aine que les souvenirs de ses doigts sur moi cette nuit font chauffer mes joues, puis il reprend le levier de vitesse en main avant de m'indiquer un panneau du menton.

Je n'ai le temps d'y lire que le nombre deux avant que Cléandre ne suive sa direction.  

– Mes parents habitent à la campagne, pas en ville. 

– Mais comment tu fais pour deviner ce que je pense à chaque fois !

– Je suis observateur. Tu as tellement fixé l'autre panneau que tes yeux sont presque sortis de ton crâne... tiens, regarde, on arrive. 

La curiosité m'empêche de lui répondre. Arriver dans ce village fleuri où mon amoureux a passé toute son enfance me fait quelque chose. À première vue, ça ne m'a l'air ni grand ni moderne. Autour d'un vieux donjon s'agglutinent de vieilles maisons en pierres. Des volets ou des briques obstruent la fenêtre de la plupart d'entre elles. Certaines tombent même en ruine. 

Indéchiffrable CléandreWhere stories live. Discover now