Chapitre 61

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Mon plan a lamentablement échoué. Pas de syncope, pas de sourire, rien. 

Toutes ces heures passées à me « pomponner » (comme dit ma mère) et à faire les magasins furent vaines. Ma bataille pour réserver une table à deux dans un restaurant aussi. Tout ça pour n'avoir aucun résultat. 

Pas que j'ai foiré ma tenue, elle est parfaite ma tenue. La preuve : le groupe de filles de la table à côté me lorgne depuis presque une heure La serveuse aussi n'est pas insensible à mon charme, elle flirte à chaque fois qu'elle vient me demander si j'ai besoin de quelque chose et m'a même offert un deuxième apéritif pour « m'aider à attendre ». Indubitablement, j'ai du succès comme ça, seulement, la chaise vide en face de moi reste de marbre. Si une chaise peut rester de marbre, puisqu'elle est plutôt en bois. 

Je commence à me sentir un peu idiot, assis seul à cette table alors que le restaurant est bondé. Même la terrasse déborde de clients !

Les premières trente minutes, je les ai passées en me disant : « Bah, il a un peu de retard. » Les suivantes à me dire :  «Mais si, il va venir, il va venir ». Et maintenant, je suis partagé entre « Je me suis pris un putain de lapin » et « il lui est arrivé quelque chose ». Parce qu'en plus d'être le grand absent de la soirée, il ne répond pas à mes sms.

À aucun d'eux. Il ne répond pas non plus sur la messagerie facebook, mais rien d'étonnant à ça : il ne s'en sert jamais et comme il refuse toujours de se faire un compte instagram ou d'installer whats'app... je n'ai que les SMS et les appels. 

Je n'ai pas encore réussi à me résoudre à appeler Cléandre : je crains de me faire envoyer bouler. En vérité, je crains que sa pause ne l'ait finalement amené à se poser des questions sur notre relation. Et si, en fait, c'était à cause de moi qu'il réfléchissait ? De nous ? Et s'il n'osait pas me dire que c'est fini ? Qu'il n'arrive pas à oublier Kaname et que je ne serais jamais à la hauteur ?

Je ronge mon frein encore quelques minutes avant que la serveuse ne vienne me demander si je désire enfin commander ou non. Elle ne peut plus repousser, et ne peut se permettre de me laisser utiliser une table si je ne dîne pas. J'obtiens un dernier répit qui me force à passer l'appel que je repousse. 

Je ne meurs pas d'envie de téléphoner dans le vide, devant tous ces regards qui m'étudient avec une curiosité malsaine et qui attendent de me voir échouer. 

À la première tonalité, mon ventre se serre.

À la deuxième tonalité, je pince les lèvres, mal à l'aise, et...

Allo ?

Et il a décroché ? Direct ? Comme ça ? 

— Cléandre ?! Je pensais pas que tu répondrais ! T'as carrément ignoré tous mes messages, j'espère que t'as une bonne raison !

L'agacement que j'accumule depuis mon arrivée affleure à la surface de ma patience. Je parle trop vite, trop fort et Cléandre demeure silencieux de longues secondes avant de reprendre.

Je suis désolé, c'est juste que tu tombes au mauvais moment. Je peux te rappeler plus tard ?

— Tu te fous de moi ? grincé-je.

Comment ça, je « tombe au mauvais moment » ? Les chuchotements de mes amis envahissent mon imaginaire.  « Il était avec Servan » ; « Ils ont rejoint un Asiatique. » « Il était Japonais. ». Puis, plus insidieuse, plus laide, la voix de Jared prend le dessus. « C'est quoi le problème, il est pas vraiment mort, un truc du genre ? ». 

Non, Nathéo, ça suffit. Clé a promis de tout t'expliquer. Reprends-toi. Il était juste avec un ami dont il ne t'a jamais parlé ! Peut-être bien un ami de Servan, d'ailleurs. Je n'ai aucune raison d'imaginer Cléandre en ce moment même avec cet individu, n'est-ce pas ?

Indéchiffrable CléandreWhere stories live. Discover now