Chapitre 47

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Enfin libre !!

Une consultation qui aura duré bien plus longtemps que prévu, mais plus de béquilles ni de plâtre ! Juste des séances de rééducation pour éviter les séquelles. Le médecin m'a aussi conseillé d'aller à la piscine régulièrement, sans jamais forcer sur ma cheville. D'éviter les longues marches et la station debout si je dois rester en appui sur ma jambe affaiblie.

Je revis ! Je retrouve certains petits plaisirs, comme celui de sortir mon smartphone de ma poche en marchant pour consulter mes messages. Je m'attendais à en avoir un de Cléandre (qui aurait dû partir en cours il y a une bonne heure), mais rien. En revanche, l'icône de Bookfacing m'indique plusieurs conversations privées. Jared me confirme sa présence pour le cinéma, Clarenz panique parce qu'il ne sait pas comment s'habiller et qu'il pense ne rien avoir dans son armoire pour l'occasion, Ava se demande comment j'ai eu son numéro et Gaspard ne peut pas venir.

Instinctivement, je claudique vers l'endroit ou Cléandre s'était garé. Mon cœur tressaute de joie lorsque j'avise la vieille citadine où mon amoureux s'est appuyé. Dans une de ses mains, Cléandre tient une cannette de soda. Dans l'autre, son téléphone. La contrariété qui chiffonne ses traits s'atténue sitôt qu'il m'aperçoit.

— Ça va ?

Il range son téléphone à la va-vite. Sa main monte vers son oreille, mais avant de se triturer le lobe comme il en a l'habitude, Cléandre ferme le poing, puis étire ses doigts et me tend la canette.

— Je t'ai pris ça au distributeur.

— Tu devrais être en cours, non ? Tu es sûr que ça va, insisté-je.

Il hésite avant d'esquisser un sourire tendre.

— Mieux maintenant que tu es là. Et toi aussi, ça va, on dirait ! Tu... tu dors chez moi, ce soir ?

— Sérieux ?

— Oui... On a besoin de se retrouver... non ? De se retrouver vraiment. Se faire un truc romantique. Je pourrais te cuisiner un truc et on se regarde un film ? Comme je ne viens pas au cinéma...

Ma bouche s'assèche tandis que je grimpe dans la voiture. Une fois que nous sommes tous deux installés et attachés, je me tourne vers mon amoureux :

— Clé... tu es en train de me proposer un rencard ?

— Une soirée en amoureux, plutôt. Si tu veux un rencard...

— Et comment, que je veux un rencard ! le coupé-je sans parvenir à m'en empêcher.

Ses fossettes se creusent.

— Alors nous en ferons un.

La joie gonfle mon coeur en même temps que l'incrédulité. Après m'avoir embrassé dans un couloir d'hôpital, il veut m'emmener en rencard ?

— Attends... un vrai ?

— Oui.

— Que tous les deux ?

— Évidemment.

— En public ?

— Oui. 

— Mais... en tant que couple ?

— Je n'ai pas pour habitude d'inviter mes potes pour un rencard, s'amuse-t-il. 

Je me sens un peu idiot, mais peu importe : je crois bien que je n'ai jamais été aussi heureux de ma vie ! Je pourrais sauter, hurler danser... si je n'étais pas assis dans cette voiture !

— ... enfin, sauf Servan, reprend Cléandre.

— Euh... quoi ?

— Je suis déjà allé en rencard avec Servan.

J'ouvre des yeux ronds. Ma joie ne s'est pas dissipée, mais elle se ternit de jalousie. Le pire ? Je ne sais pas trop duquel des deux je suis jaloux !

Certes, j'aime Cléandre à la folie. Mais Servan, quoi ! Le chanteur idole des jeunes ! Mon grand crush d'ado, même si je mourais plutôt que de l'admettre.  Et en même temps, ce chanteur est ami avec Cléandre. Et un peu plus que ça, si j'ai bien compris.

— Tu as vraiment invité Servan, LE Servan en rencard ? Devant tout le monde ?

— En fait, non, c'est Servan qui m'a invité. Deux ou trois fois, et c'était au Del A sève.

— Tu es allé avec Servan au Del A sève ? Là où tu n'as même pas voulu emmener Sarah ? Là où tu... attends... et vous avez... non, laisse. Je veux pas savoir.

En fait, si, je veux savoir. Mais je ne veux pas le lui demander.

Cléandre plisse les yeux.

— Ne sois pas jaloux...

— Je ne suis pas jaloux !

— C'est là-bas que j'ai prévu de t'emmener pour notre rencard. Samedi soir. Et après, je compte bien te ramener chez moi et profiter à fond de ta nouvelle mobilité. Pour le reste... je sens que tu meurs d'envie de me demander, et oui, j'ai fini chez Servan plus d'une fois, et inversement, mais il n'y a jamais eu de sentiments entre nous. Pas de mon côté, en tout cas.

Malgré moi, j'échappe un soupir rassuré avant de me crisper sur mon siège.

— Euh... ça veut dire que lui est amoureux de toi ? 

— Possible.

— Non, mais tu peux pas te contenter de ça ! Je peux pas avoir Servan comme rival ! Je peux pas gagner face à lui, je...

— Nath. Qui est dans ma voiture, là ?

— Euh... moi.

— Qui j'ai présenté à mes sœurs et mes parents ?

—... Moi.

— Pour qui je suis prêt à faire des compromis ?

— Toujours moi. 

— Et avec qui je suis depuis plus de deux mois ?

— Moi... je vois où tu veux en venir, tu es avec moi et pas avec Servan, mais...

— Et maintenant, dis-moi, m'interrompt-il encore. Si demain, une fille ou un garçon venait t'avouer ses sentiments pour toi, est-ce que ça deviendrait ma ou mon rival ?

— Bien sûr que non, c'est toi que j'aime ! C'est pas parce qu'un random va débarquer que ça va changer, mais pourquoi tu... oh. je vois. J'suis désolé, je devrais te faire plus confiance, je...

— C'est à toi que tu devrais faire plus confiance, murmure Cléandre. C'est toi qui me fais sortir de ma coquille, pas Servan. C'est toi qui me pousse dans mes retranchements, pas lui. C'est pour toi que j'ai envie d'avancer, pas pour lui.  Et tu sais pourquoi ?

Sa voix tremble un peu. Mon souffle se coupe. Mon sang bout dans mes veines. le moment est venu, n'est-ce pas ? Ce moment que j'attends depuis une éternité, me semble-t-il. Par réflexe, je me détache et bondis hors de la voiture. j'en fais le tour une fois. Puis deux. Cléandre finit par me rejoindre, perplexe.

— Nathéo, je voulais te dire quelque chose d'important, je...

— Je vérifie que personne ne viendra t'interrompre, cette fois. 

Mon amoureux tourne la tête à droite. Puis à gauche. Il n'y a presque plus personne sur le parking de l'hôpital. Personne qui ne prête attention à nous, en tout cas. 

En douceur, Cléandre me pousse contre sa voiture. Mon dos cogne contre la carrosserie. Mes hanches aussi. Et presque aussitôt, le torse de Cléandre se colle au mieux. Nos bouches ne sont plus qu'à un souffle l'une de l'autre.

— On est en public, chuchoté-je.

— Je sais, répond-il sur le même ton. Et ça me terrifie. Mais pour toi, je peux le faire. Je vais le faire. Je... veux le faire.

Il saisit mes doigts. Ma main tremble. Ce geste si naturel, si doux, si simple me bouleverse : mes béquilles m'en ont privé trop longtemps.

— Et tu sais pourquoi ? continue Cléandre.

— Dis-moi ?

— Parce que je... suis amoureux de toi. 



Indéchiffrable CléandreWhere stories live. Discover now