Chapitre 36 2/2

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Le petit déjeuner s'achève sans que nous ayons prononcé un mot, mais à ma grande surprise, ce silence n'a rien de pesant. Après avoir mangé sa tartine, Cléandre s'est reculé sur sa chaise pour me dévisager. Les cheveux qu'il entortille autour de ses doigts me crient une fois encore sa nervosité, mais il n'y a pas que ça. Il a ce regard, celui qui essaie de faire passer un message sans être certain que le destinataire l'ait compris. Voilà pourquoi je ne réponds pas à ses révélations... je sais que quelque chose m'échappe encore, et je veux absolument mettre le doigt dessus.

Alors, je passe en revue toutes les révélations qu'il m'a faites. Le fait que Kaname lui avait offert un bijou magnifique pour ses dix-huit ans. Qu'ils parlaient d'emménager ensemble tous les deux — j'admets que j'en suis un peu jaloux —. Que Cléandre était avec Kaname le jour de sa mort. Si j'y ajoute le fait que mon amoureux se sent responsable de sa mort et qu'il refuse désormais de s'afficher en public... j'en déduis qu'ils étaient ensemble au moment précis ou Kaname est mort.

Soudain, je me souviens de deux choses. Cléandre a été agressé par le passé. Et il déteste les anniversaires. Alors je réalise et malgré moi, je murmure :

– Mon Dieu, vous vous êtes fait agresser et il en est mort... le jour de ton anniversaire.

Les yeux de Cléandre s'écarquillent d'horreur en se teintant d'une insondable douleur. Des larmes ne tardent pas à mouiller ses joues. Ses épaules tremblent. Sa bouche s'ouvre, se referme. Il y plaque sa main avant de se lever brusquement et de fuir la cuisine.

Pendant une seconde, je reste figé, dans l'incompréhension la plus totale. Il vient de me donner toutes les clefs pour le percer enfin à jour, il attendait que je comprenne — j'en mettrai ma main à couper —, mais il me fuit... c'est à n'y rien comprendre !

Après cinq minutes — ce que j'estime être le temps minimum dont il a besoin pour reprendre contenance —, je récupère mes béquilles pour claudiquer à sa recherche. Je le trouve dans la salle de bain du bas, penché au-dessus du lavabo, les mains vissées à ses rebords. 

Si sa respiration me semble un peu rapide, parfois étranglée d'un sanglot silencieux, ses yeux sont secs. Rougis, mais secs. Il observe son reflet dans le miroir. Une moue contrariée tord sa bouche quand il se passe la main dans les cheveux, saisit des mèches, les observe.

Je m'attendais à tout sauf à ce comportement. Dans le miroir, il croise mon regard interrogateur et inquiet.

– Tu vas bien ?

– Mes mèches rouges ont quasiment disparu.

En douceur, je l'enlace, pose mon menton sur son épaule.

– Ce n'est rien ça, on peut acheter une couleur demain et la refaire. Et tu n'as pas répondu à ma question...

– C'est Kaname qui m'a fait ces mèches pour la première fois. À la base, c'était juste un test, mais il a tellement aimé le rendu qu'il les refaisait à chaque fois. Et j'ai continué après sa mort, comme une commémoration. Je pensais même continuer comme ça jusqu'à ma mort, sans doute sauf que ces derniers mois... j'ai oublié. J'ai complètement oublié. Alors, non, ça ne va pas non. Je pensais être prêt à t'en dire plus sur moi, j'ai semé les grandes lignes dans ce but, mais en fait non. Je n'étais pas prêt pas prêt du tout ! Je me sens vide, cotonneux, je perds pied. C'est comme si je m'éloignais de tout ce que je connais. Comme si toutes mes amarres cédaient une à une sans que je puisse y faire quelque chose et sans retour possible en arrière.

Cléandre me semble si fragile tout à coup, comme si le moindre mot de travers, le moindre geste pouvait le briser irrémédiablement. Cette pensée fait désagréablement écho aux mots de Sarah. Des mots que j'avais pris à la légère.

Indéchiffrable CléandreTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang