Chapitre 40

264 31 24
                                    

Le nez collé à la vitre, je n'ai pas réussi à détacher le regard de Cléandre. Si j'en crois les gloussements de Zéline, j'avais l'air niais et lumineux des gens amoureux. 

Et puis Wilma, la mère de Cléandre, est arrivée derrière nous. Elle nous a chassés de là, nous priant de laisser Cléandre arroser les fleurs en paix. Arroser ? Je ne lui ai vu aucun arrosoir ! Mais impossible de m'échapper ensuite pour aller le vérifier. 

Coincé à table entre ma mère et celle de mon amoureux, je m'empiffre de gâteaux apéritifs industriels ; interdit de goûter à ceux préparer ce matin, nous devons attendre le retour de mon chéri. 

Alors, en attendant, je me remplis la panse. Capucine et Zéline discutent dans leur coin. Les parents font de même. L'ambiance est plutôt sympa, mais je m'ennuie ferme. 

Très vite, mon regard se perd sur la pièce. C'est totalement différent de l'appartement de Gladys et Cléandre ici. Pas de plante sur toutes les étagères, mais trophées alignés. Des coupures de journaux, des photos. Je plisse les yeux pour essayer de voir, mais sans mes lunettes c'est peine perdue ; elles sont trop loin, je ne distingue que des silhouettes blondes. Je dirais qu'une des filles est seule sur certaines, avec quelque chose dans les mains. Et que d'autres photos montrent des couples ou toute la famille. Et il y a ce cadre unique, tout en haut, entouré de deux vases fleuris et de bougies. 

Cette disposition... on dirait une sorte d'autel. La bouche sèche, je me tortille sur ma chaise. Une question me brûle les lèvres. Une question que je ne dois pas poser si je ne veux pas m'attirer les foudres de la famille au grand complet.

Et plus je tente de me contenir, plus j'y pense. Plus cette question m'envahit. Elle se propage à chaque zone de mon cerveau encore capable de réfléchir, enhardie par le doux ronronnement des conversations. Après tout, les parents aussi parlent de la déco. Des rideaux, du papier peint... de ce nouveau parquet que Grégoire a intégralement posé avec ses filles l'an passé.

Après tout... ça resterait dans le thème... une question totalement innocente en apparence.

Non. Hors de question. J'ai promis.

Je me mords la langue pour m'empêcher de parler. Mais quand ma mère dirige d'elle-même la conversation sur la collection de clichés, c'en est trop. Je craque et me lève d'un bond en reculant ma chaise.

– Excusez-moi... Où sont les toilettes s'il vous plaît ?

La meilleure solution reste encore la fuite. 

– C'est la troisième porte à gauche, m'indique Wilma en reculant sa chaise.

Je la remercie d'un hochement de tête, récupère mes béquilles et claudique jusqu'au battant indiqué. Une fois la porte close, je ferme l'abattant pour m'asseoir dessus. Puis j'attends.

J'attends que cette question me laisse tranquille, qu'elle cesse de tourbillonner dans ma tête. Qu'elle s'évanouisse. Sauf qu'elle persiste. Elle pointe Kaname du doigt. Elle me hurle de tout découvrir alors qu'hier encore, ma tendance à fouiner menaçait de briser mon couple. 

Je me déteste d'être aussi curieux. Je me déteste d'être aussi faible. 

J'ignore combien de temps s'est écoulé quand des coups discrets résonnent contre la porte. 

- Nath ? Qu'est-ce que tu fais là-dedans ?

Cléandre ! Si je n'avais pas encore le pied dans le plâtre, je bondirais pour lui ouvrir !

– C'est ouvert. 

Il entre sans un mot, et je vois de suite le pli soucieux sur son front. Son visage marque la perplexité lorsque me découvre. Je me sens aussitôt obligé de me justifier.

Indéchiffrable CléandreWhere stories live. Discover now