Chapitre 9

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– Cléandre, tu as des capotes ?

Son corps cesse d'onduler contre le mien. Il penche la tête de côté. Puis il me demande de fouiller dans le vide-poche pendant que lui explore la portière. Rien. Il passe sur la banquette arrière pour vérifier sous les sièges. Rien non plus. Il revient à côté de moi, vide sa sacoche sur le siège. Rien non plus. Mes dents maltraitent ma lèvre ; j'ai tellement envie de lui...

– Au pire...

J'hésite à formuler ma pensée. Ma mère m'a toujours mis en garde là-dessus : pas de sexe sans protection.

– J'ai fait un test y a pas longtemps, alors si tu es clean, on peut...

– Je suis clean. Mais c'est non. Hors de question. Je ne suis pas du genre à faire confiance sur parole.

Il a raison, je le sais, mais je ne peux m'empêcher d'être vexé.

– Dis tout de suite que je mens !

– C'est pas une question de mentir. J'ai déjà eu un rapport à risque, pour ma première fois d'ailleurs. Je ne referai pas la même connerie deux fois. Alors, même si c'est frustrant, c'est non.

Une moue de déception froisse son joli visage. Ses épaules s'affaissent. Son front vient taper le volant et déclenche le klaxon. Cléandre se redresse aussitôt, puis se tourne à demi vers moi.

– Putain, la prochaine fois, prévois capote et lubrifiant !

– La prochaine fois ? Tu me laisses une autre chance ?

Ma question lui fait l'effet d'un électrochoc. Il secoue la tête. L'excitation s'éteint dans ses prunelles, remplacée par cette tristesse qui me glace le cœur. Même sa voix me semble morne.

– Cléandre, je suis désolé, je...

– Ne le sois pas, c'est sans doute mieux comme ça.

Un frisson le parcourt, il s'enveloppe de ses bras. Le geste dévoile un second tatouage que je n'avais pas remarqué jusque là. De la taille d'une demi-paume, logé à quelques centimètres en dessous de son aisselle. Son aspect ressemble aux inscriptions présentes sur les mangas de Jared.

– C'est un junki ?

– Pardon ?

– Ton tatouage, c'est un junki ? Il veut dire quoi ?

Ses yeux s'arrondissent, puis se plissent. Sa bouche passe par les mêmes mimiques ; j'ai du me tromper de mot. Et je passe pour un imbécile, encore une fois. Mes joues cuisent. Pour reprendre contenance, je m'occupe de ramasser son pull.

– Les lettres japonaises, ça s'appelle pas comme ça ?

– Ha... oui, c'est un kanji.

– Et ça veut dire quoi ?

– Rien qui te concerne.

Son ton sec ne fait qu'attiser ma curiosité. La marque m'attire comme un aimant. Si petite, mais réalisée avec une finesse extrême. Tout comme son scorpion. D'ailleurs, la pointe des pattes et celles de cette lettre japonaise — ou de ce mot ? – se terminent avec les mêmes empattements.

– C'est la même personne qui a fait tes deux tatouages ?

– Oui. Rappelle-moi ton adresse s'il te plaît ?

– Faudrait que tu me donnes le nom de ton tatoueur, c'est un travail extraordinaire !

– Je sais. Ton adresse ?

Il ne veut pas en parler. Je devrais me taire, mais ça exacerbe ma curiosité. Alors j'insiste. Je me moque même un peu de lui ; un tatouage, ça n'a rien de tabou de nos jours, c'est même plutôt sexy, alors pourquoi il éviterait le sujet ? J'émets ensuite des hypothèses sur la signification du Kanji. Amour ? Maman ? Paix ?

Indéchiffrable CléandreWhere stories live. Discover now