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Suis-je minable à attendre désespérément qu'un jour un prince charmant comme on en croise tous les jours dans la rue se décide à se retourner sur mon passage ?

J'ai lu des centaines de livres, écrit des dizaines d'histoires, inventé des centaines de personnages et imaginé tout autant d'histoires entre eux. Je les imaginais tomber amoureux l'un de l'autre, tout doucement, comme on s'endort. Je les imaginais d'abord se repousser, puis s'aimer, s'apprendre, se découvrir. Je reproduisais des schémas que j'avais lu, vu, rêvé. Et je dois avouer que fut un temps, le simple fait de lire l'amour des autres, de l'écrire et parfois de le rêver me suffisait. Je me disais que je ne voulais pas finir comme les filles des histoires tristes. Avec la chance que j'ai, je finirai comme elle, à fuir un garçon qui ne m'a aimée que pour un pari, mon mascara coulant sous la pluie. Je ne voulais pas devoir me reconstruire après avoir pensé avoir trouvé mon prince. Je voulais simplement trouver directement le garçon qui finirai par être l'homme de ma vie. Je voulais faire comme dans tous ces livres, dans tous ces films, dans tous mes rêves. Avoir quelque chose en plus qui ferait craquer le beau gosse ténébreux au coeur aussi insensible qu'un roc. Gamine, je rêvais partir en vacances, avec ma meilleure amie, son copain et le mien. Je nous imaginais acheter un van, installer grossièrement des couchettes dedans et partir à la découverte du monde, libres de tous les contraires et sans penser à tous les problèmes qui écrasent les gens d'aujourd'hui.

Mais je dois me rendre à l'évidence. Je ne serais jamais la fille de mes rêves. Je n'ai pas de truc en plus. Je n'ai rien qui puisse l'attirer, lui créer une sensation de besoin d'être auprès de moi, le retenir face aux tentations qu'il pourrait trouver tout autour. Je n'ai pas les yeux d'un bleu ensorcelant. Je n'ai à offrir qu'un regard brun banal, peut-être un peu trop émerveillé. Je n'ai pas une longue chevelure parfaitement entretenue. Je n'ai que de petites mèches sans forme et sans style. Je n'ai pas le corps des reines de beauté, des mannequins, ni mêmes des standards. Mais je ne m'en plains pas. J'ai toujours su que je n'étais pas faite pour rentrer dans le moule de la société. Trop grande pour porter des talons, trop petite pour en faire un atout. Trop large pour faire de la danse, trop plate pour me vanter de mes formes.

Et dans un sursaut de volonté comme ils sont à la mode, je me dis que si je ne rentre pas dans les standards, je ne dois pour autant en faire tout un plat. Il y a bien plus malheureux que moi. Il y a des filles qui ne se supportent plus, tandis que j'ai fait de ma banalité une arme, comme certains utilisent leur maquillage comme carapace. Je sais que je ne plais pas. Ou du moins pas que je voudrais plaire. Trop imprégnée de cette fiction qu'on donne à bouffer aux gamines sans espoir, pour leur montrer que si elles sont capables de faire à manger, de nettoyer une maison et de s'occuper d'enfants, elles finiront bien par trouver un mari. Les mentalités ont évolués. Mais dans l'encre des pages usées des vieux livres qui me tiennent éveillée, une réalité bien triste est figée. La femme comme moyen de briller en société. Alors j'ai essayé, sans même m'en rendre compte, de rentrer dans les moules. J'ai essayé différents styles. Remisé mes vestes de cuir et mes doc martens pour les troquer contre des derbies à la mode et des robes à fleurs. Je me suis efforcée d'étouffer les côtés masculins de ma personnalité. J'ai surveillé mon langage, adouci mes expressions, assoupli mes gestes. J'ai conformé ma personnalité à ce que les gens voulaient voir. J'ai appris à sourire autrement que pour rire. J'ai appris à rester droite, à faire un peu la fille hautaine, trop pressée pour s'arrêter.

Mais rien de tout cela n'a marché. Et je suis toujours toute seule, à me nourrir des romans d'aventure saupoudrés d'amour. De prier pour que mes personnages préférés finissent ensemble. De réécrire les fins quant elles ne me conviennent pas.

Et puis je crois que je vais devoir apprendre à sourire quand les autres me racontent leurs histoires d'amour. Apprendre à être heureuse quand leurs histoires s'élancent alors que l'auteur de ma vie n'a pas encore écrit le personnage qui me complète. Apprendre à étouffer mes regards envieux vers leurs couples, leurs sourires et ces petites étoiles que je ne pensais qu'être la projection d'un auteur amoureux. Je vais devoir apprendre à garder mes espoirs de finir avec eux autour de moi. A garder mes espoirs d'un jour pouvoir dire "oh, on s'est rencontrés y a quoi... peut-être vingt ans ! Tu te souviens, j'avais les cheveux bleus d'un côté et toi t'avais des jeans pleins de peinture ! Oh c'qu'on avait l'air ridicules à l'époque !". A taire mes espoirs de lui présenter mes serpents quand à cinquante ans, je n'aurais toujours pas de prince pour régner sur mes rêves. A garder tout l'amour qui m'étouffe pour mes livres, mes dessins, mes personnages. De mettre tout ce qui me serre la poitrine avec autant de force qu'un étau dans un livre que personne ne lira jamais.

On formate les gens à attendre plus d'autrui qu'eux mêmes ne sont capables de donner. Il en résulte des divorces, des cris et de la vaisselle qui vole. Il en résulte des histoires d'amour qui même au bout de cinquante ans de séparation, d'un côté de l'autre de l'Atlantique, s'avèrent aussi fortes qu'au premier jour. Nous sommes programmés pour aimer. Il y a, caché au fond de notre code génétique, entre des gènes silencieux et d'autres dont on ne comprend pas encore l'intérêt, un tout petit gène qui nous pousse à nous dévoiler à un inconnu. Qui nous fait nous apprendre à nous connaître. A nous aimer. A nous détester. Ce petit gène qui noie notre esprit sous les images d'un inconnu lorsqu'il a trouvé celui qui pourrait nous aller. Ce petit gène qui nous empêche de dormir pour nous rejouer en boucle son sourire, sa manière de chanter avec cette voix cassée qui nous fait rêver. Ce petit gène qui nous fait retourner la terre, apprendre la guitare, apprendre à dessiner, porter des foulards ou apprendre l'anglais, rien que pour un inconnu. Pour tenter d'attirer son attention. Pour vérifier si au fond de lui, il n'a pas lui aussi son petit gène qui fait de même à notre encontre. Parfois des mutations viennent agrandir ce petit gène. On se retrouve avec un coeur débordant d'amour, à trouver tous les inconnus beaux et séducteurs. Parfois des mutations viennent détruire ce petit gène. Après une rupture, on se dit qu'on ne tombera plus jamais amoureux. Que toutes ces séries qui font tomber amoureuses des personnes contraires ne sont là que pour faire de l'audience, que les scénaristes sont justes des tortionnaires. Ou bien après avoir passé trop d'années à attendre.

J'ai lu des centaines de livres.

Écrit des dizaines d'histoires.

Inventé des centaines de personnages.

Imaginé tout autant d'histoires entre eux.

J'ai tenté de changer.

Tenté de me conformer à ce qu'ils voulaient de moi.

J'ai sillonné le monde.

Visité des centaines de villes.

Croisé des millions d'inconnus.

Mais mon petit gène est toujours resté silencieux, comme s'il n'avait jamais réussi à se sortir d'un sommeil teinté de cauchemars. Comme s'il avait peur de disparaître s'il se trompait. Et je me retrouve là. Comme toujours, un sourire un peu niais sur le visage, des partitions de musique tout autour de moi. Des notes de pianos soutenant la voix cassée d'une autre qui semble comprendre mes maux. Je ne changerais plus. J'ai rangé mes robes à fleurs à côté de mes vestes en cuir. J'ai décidé de tout laisser tomber. Dans le fond, les serpents sont tout aussi affectueux que les princes charmants. J'ai enfilé mes jeans noirs, comme pour témoigner des cendres de mon coeur. Rentré ma chemise blanche dans la ceinture, comme pour prouver mon innocence à ceux m'accusent de n'avoir rien tenté. Enfilé ma veste rouge, comme une provocation à tous ceux qui oseraient me juger. Noué autour de mon cou un foulard assorti, comme une marque de fabrique, pour me rappeler de ne plus jamais essayer de changer pour les autres. Chaussé mes Doc Martens, comme pour prouver que ne pas rentrer dans les standards qu'on nous impose c'est une fierté et non la honte que je ressens trop souvent. Secoué mes mèches folles, comme pour défier ces princesses qui se conforment à ce que les hommes et les femmes veulent voir dans leurs lits.

Suis-je minable à attendre désespérément qu'un jour un prince charmant comme on en croise tous les jours dans la rue se décide à se retourner sur mon passage ?

A cette question, on devrait tous répondre non. C'est comme ça. On ne peut pas lutter contre notre instinct. C'est ce qui nous rend humains. On a le droit d'attendre. On a le droit de désespérer. On a le droit de pleurer en se disant qu'on ne plait à personne. On a le droit de, le temps d'une soirée, ne pas se trouver à son goût, vouloir tout changer pour être belles. Mais si être belles ça veut dire être comme les autres, on devrait tous trouver la force de dire "je passe mon tour". Je n'ai pas été assez forte pour m'en rendre compte tout de suite. Mais où est mon erreur ? Me pointer du doigt en riant de ma solitude ne sert à rien. Je suis humaine. Je suis seule. Je suis moi. Et alors ?

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Restez-vous mêmes, vous êtes déjà assez parfaits comme ça 🖤

H.

Other WorldsWhere stories live. Discover now