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Que fait-on d'une blessure qui s'infecte ?

Que dit-on aux enfants qui ont de mauvaises fréquentations ?

Que fait-on d'un membre gangrené ?

Que fait-on quand ce qui nous a maintenu en vie nous étouffe soudain ?

On s'en sépare. On laisse derrière nous ce qui nous fait souffrir pour pouvoir continuer à avancer. C'est exactement ce qu'il s'est passé dans mon cas. Pendant longtemps l'écriture a été mon seul moyen de survivre, ma seule bouffée d'air pur. Je n'ai partagé ces écrits avec des carnets. Et puis je me suis un jour dit qu'ouvrir les portes de mon sanctuaire pourrait peut-être aider d'autres personnes à s'évader de leur propre prison, de leur propre douleur. J'ai donc partagé mes écrits, mes sentiments, mon cœur, mon âme. J'ai laissé certaines personnes jouer avec ces sentiments bruts que j'offrais à des inconnus. J'ai laissé d'autres personnes se moquer des incohérences de mes pensées. J'ai laissé faire. Je me suis dit qu'il fallait que, depuis tout ce temps, enfin quelqu'un me donne de quoi continuer à avancer. Continuer à m'améliorer, à grandir en même temps que mes personnages. Parfois ce n'était pas facile, mais dans l'ensemble ce fut l'une des expériences les plus enrichissantes de ma vie. Voir des gens parler de ces personnages qui pendant longtemps n'ont fait qu'errer sur les lignes d'un carnet à la reliure craquée. De les voir partager et s'amuser de détails que je ne voyais même plus. De les voir pleurer d'histoires qui m'avaient fait pleurer avant eux. Écrire est devenu une seconde nature. Presque même une drogue ! Et puis petit à petit je me suis rendue compte qu'à la manière de l'herbe foulée par de trop nombreux visiteurs, ma plume s'est encombrée des avis, des préférences et des tendances. Je n'ai plus écrit parce que c'était ce qui me venait comme ça, lorsque je voyais une feuille blanche, mais parce qu'il fallait que ça plaise. Je n'ai plus écrit des choses parce qu'elles me venaient dans des moments totalement incongrus, je les ai écrit parce que j'avais remarqué que c'était ce qui plaisait. Et immédiatement, cela s'est fait ressentir. J'ai perdu autant les erreurs que les avantages de mes premiers écrits. J'ai perdu cette petite touche complètement enfantine. Peut-être ai-je tout simplement grandi. Mais je ne crois pas. Pas aussi violemment. Ou bien je refuse d'y croire. Je me suis peu à peu attendue à être envahie de commentaires positifs alors que si mes premiers écrits avaient plus, les nouveaux étaient ignorés. Je ne sais pas. Mais ma dernière tentative de prendre la mesure, de connaître la véritable valeur de ce que certaines personnes appelaient mon talent, a été celle de trop. Je m'attendais tellement, je m'étais tellement préparée psychologiquement à passer cette épreuve haut la main, que je suis tombée si vite et si bas que se relever de ça est impossible sans faire une croix sur quelque chose. Il faut que je change quelque chose pour me remettre, pour me redresser, pour revivre de nouveau de mes pensées.

Un auteur ne cesse jamais d'être auteur. Ce serait comme demander à un enfant d'arrêter d'être naïf. Il ne cesse jamais non plus d'écrire. Il peut simplement décider de fermer les portes de son monde. Le temps de remettre les mots à leur place, comme on range une bibliothèque après le passage d'une classe d'enfants. Et si aujourd'hui je ferme les portes de mon monde, c'est dans l'espoir d'un jour pouvoir les ré-ouvrir en étant fière de ce que j'ai à offrir. Je ne cesserais jamais d'espérer le succès. Je ne cesserais jamais de m'imaginer grande auteure reconnue. On ne peut pas changer les optimistes. Et je crois que malgré le fait que je baisse les bras aujourd'hui, je reste avant tout une optimiste.

Si, forte de ma faible expérience ici, je pouvais vous donner un conseil, c'est de ne jamais abandonner. De croire en vous comme un enfant croit au bonheur. D'écrire comme si cela pouvait changer des vies. D'imaginer comme si cela pouvait changer le monde. Et surtout. Surtout, de ne jamais abandonner, peu importe la critique, qu'elle vienne de vous ou des autres. On peut s'arrêter, baisser son arme quelques instants, le temps de prendre une goulée d'air, une inspiration salvatrice avant la suite, mais on ne doit jamais lâcher prise totalement. Sans quoi on cesse d'avancer. On meurt comme une fleur subissant le gel.

Merci d'avoir été présente quand j'avais besoin de toi.

Merci d'avoir été présents quand j'avais besoin de vous.

Si aujourd'hui la partie de moi qui vivait ici meurt, si aujourd'hui la Helleana en moi meurt, ce n'est que pour laisser sa place à une autre, à un autre, qui pourra, un jour peut-être trouver les clefs de cette petite île qui rassemble l'ensemble des pensées et des émotions qui m'ont agitée pendant presque trois ans. Peut-être que je reviendrais. Peut-être pas.

Ça peut être un au revoir comme un adieu.

Si je ne suis pas capable de trancher, vous le pourrez peut-être.

Ils venaient pour me détruire moi, mais ils l'ont eu elle. Elle se terrait, sans défense, au fond de mon cœur et de mon âme, incapable de lutter contre la vague qui l'a emportée. Elle s'est noyée sans un mot, laissant pour la première fois depuis que je la connais, éclater l'ensemble de son talent. Elle m'a montré les mondes qu'elle rêvait, ceux qu'elle imaginait et ceux dont elle vivait. Son pouvoir et la force de ses mots se sont fichés dans mon cœur, dans mon âme comme autant de petits morceaux de cristal, distillant des phrases, des mots, des sensations et des émotions dans tout mon être. Sans sa capacité fantastique à retenir et occuper ses personnages, je me suis retrouvée noyée sous leurs appels et leurs phrases. L'ensemble de ses personnages sont venus se loger dans mon esprit. Soufflant à au suivant les rêves, les mondes et la soie dont sont brodées leurs existences. Elle m'a laissée seule avec comme seul souvenir un sourire, un éclat de rire et un vide impossible à combler.

Les pensées comme des souvenirs

Lointains et intouchables

Mais éternels.


P.  13/03/18

Other WorldsWhere stories live. Discover now