S.O.S.

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J'ai toujours cru que j'étais de ces gens qui apprécient le silence à sa juste valeur. Je pensais qu'il me permettait de mieux réfléchir, de mieux comprendre les erreurs que j'avais fait, et même celles que je n'avais pas fait. J'ai toujours pensé que le silence permettait de se remettre en question sans souffrir. Sans trop souffrir. Le silence permet le deuil, l'amour, le bonheur. Mais aujourd'hui c'est comme s'il s'était tourné en quelque chose de vil, de vicieux, près à me poignarder si je relâche la garde. Cette garde, que je m'efforce de ne jamais baisser, que je sois seule, quand seuls les écrits me blessent ou entourée de monde quand les non-dits sont plus violents que les insultes. Mais au final, je ne pourrais pas me battre tout le temps. Je sens déjà mes forces qui s'amenuisent au fil à mesure que ma carapace s'érode, celle si durement acquise que j'ai eu l'erreur d'ouvrir, pour tenter de montrer que je ne suis pas la fille sombre que les gens voient en moi. Je la sens qui part petit à petit en poussière, incapable de résister aux assauts que lui fait subir le monde. A la manière d'un château de sable que l'on s'efforce de faire tenir le plus longtemps possible face à des vagues aussi insensibles qu'inconsciente des heures de travail qu'elles détruisent d'un mouvement. Et de cette fille joyeuse qu'on entendait hurler de rire d'un bout à l'autre d'un self vieux comme le monde, je ne suis devenue qu'une enveloppe vide, une marionnette de théâtre qui enfile des masques pour éviter de perdre la face. La seule chose qui me fait tenir debout, qui me donne la force de me lever le matin, de manger les repas, de ne pas m'effondrer comme une poupée de chiffon, c'est la honte. Un sentiment mauvais en échange d'une mauvaise vie. La honte de décevoir ces gens qui comptent sur moi, ces gens qui ont cru en moi. La honte d'échouer et de donner raison à tout ceux qui murmurent "faible" sur mon passage. Je ne veux pas donner raison à tous ces cons qui pensent que leurs mots vont me faire échouer. Je n'ai pas besoin de leurs mots pour me sentir démunie, nulle et inutile. Le simple fait de me lever le matin, d'ouvrir ces yeux qui ne voient même plus les choses essentielles, me réduit à  néant. A la manière d'une fleur un peu abîmée qu'on aurait oublié sur le coin d'un évier, je fane et je laisse ma vie s'enfuir. L'écriture n'est plus un échappatoire. La musique non plus. J'ai l'impression d'être en prison, sans cesse en train d'attendre un sursis qui me sera refusé. Aucun bonheur, aucun moyen de m'échapper. Juste se lever, se faire humilier, se coucher. Le reste passe à la trappe et un instant de bonheur volé entre deux échecs ne parvient même plus à m'aider. Je suis faible. Je pleure mes échecs alors que je devrais me battre pour réussir à remonter la pente. Mais ça fait trop de fois que je tombe. Je ne suis plus capable de me relever. Pas seule, pas sans trouver quelqu'un, quelque chose, le moindre espoir à quoi me raccrocher. Une coquille vide. J'ai souvent utilisé cette expression dans mes livres. J'ai toujours trouvé qu'elle décrivait parfaitement ce sentiment. Mais cette fois ce n'est plus un jeu, ce ne sont plus des mots que je suis capable d'oublier pour aller de l'avant. Ces mots me hantent parce qu'ils me décrivent mieux que n'importe quel autre. Et ils me retient ici bas mieux que n'importe quelle chaîne. J'aurais besoin qu'on m'aide à remonter. Je ne peux pas le faire seule. Et je ne suis pas en mesure de murmurer autre chose que ce piteux et pitoyable appel au secours. J'ai besoin de quelqu'un à qui raconter mes peines être jugée. J'ai besoin de quelqu'un qui m'aime sans demander quelque chose en retour. Je ne veux plus être sans cesse évaluée, en phase de test, en période d'essai.  Je ne peux pas résister à la pression indéfiniment. Et quand je n'aurais plus de larmes à faire couler, je devrais trouver autre chose. Le genre de choses dont on ne parle pas. Je voudrais juste qu'on me laisse en paix avec mes échecs. Que quelqu'un soit présent. Mais au lieu de ça je ne reçois que le silence. Les hurlements de ma chute se sont transformés en murmures. Et quand je trouve la force de crier, personne ne me répond. Je devrais me débrouiller seule. Essayer de ne pas me laisser tenter. C'est vrai, pourquoi continuer alors qu'il est si facile d'abandonner ? Pourquoi est-ce que je m'acharne à vouloir remonter alors qu'il est peut-être préférable pour vous que j'aille me coucher pour de bon. Que je coule doucement dans le noir et dans l'oubli. Moi qui gamine criait à ma mère que je mourrais pas sans avoir laissé sur Terre une trace de mon passage. Je lui hurlais que je ne me reposerai que lorsque j'aurais coché toutes les cases d'un carnet d'envies qui depuis longtemps s'est transformé en souvenir. Peut-être que mon passage sur Terre tient dans ces mots. Des complaintes lancées, des mots lâchés dans l'espoir que quelqu'un les reçoive. Dans l'espoir que quelqu'un comprenne. Dans l'espoir que quelqu'un vienne. Dans l'illusion stupide que quelqu'un m'écoute. Dans l'illusion stupide que mes mots toucheraient quelqu'un. Dans l'illusion affligeante que quelqu'un tient à moi. Je me berce d'illusions faute de réussir à sortir la tête de l'eau juste pour respirer. J'ai envie que ça se finisse. J'ai envie de me coucher pour un jour me réveiller en me disant que je m'en suis sortie. Que les blessures qui me trouent les flancs, le coeur, la tête, soient devenues des cicatrices, des traces d'une histoire que je préfèrerais oublier mais qui font partie de moi. Je voudrais parvenir à me projeter dans l'avenir comme on le faisait enfant en disant que nous voulions devenir Astronaute, Super-héros ou Magicienne dans mon cas. Je voudrais pouvoir me voir dans dix ans, épanouie, au bras d'un mec sympa, avec un taff chouette. Mais j'ai beau bosser comme une malade, mon "taff chouette" s'envole un peu plus à chaque fois que j'ouvre les yeux. Je suis épuisée. Je voudrais me mettre à boire pour voir si on peut oublier. Mais je n'ai même pas la force de m'y mettre. Et mon avenir, entre les mains d'abrutis égo-centriques qui reversent sur nous leurs échecs, se trouve réduit à un chiffre. Je suis réduite à un chiffre. Du bétail qu'on envoie là où il y a de la place sans chercher à savoir si ça lui va.

J'ai envie de rendre les armes, d'abandonner, de pouvoir me redresser, enlever cet étau qui me compresse la poitrine. Mais je ne peux pas. Ai-je déjà dit combien le regard des autres peut détruire une vie ? La honte me maintient en vie comme si elle était devenue mon substrat. La honte d'échouer une nouvelle fois. De devoir affronter le regard de ceux qui auront réussi. De devoir rentrer pour annoncer à mes parents qu'ils ont payé des études à une débile incapable de tenir le coup. J'ai envie de finir, comme à chaque fois, à me redresser un peu, hurler que rien ne m'arrêtera, que je vais réussir à remonter la pente que je montrerai à ces cons ce que je vaux vraiment. Mais cette fois je ne suis plus maîtresse du jeu. Ils me tiennent en laisse. Et je ne peux même pas aboyer.

Alors je me contente de gémir comme un chiot qu'on aurait séparé de sa mère. Je sèche mes larmes pour que personne ne les voit. Je garde en moi tout ce qui me fait mal en essayant de retenir mes émotions jusqu'au moment où elles deviendront trop fortes. Jusqu'au jour où mon masque va tomber. Ce jour là je ne sais pas si je vais hurler ou m'effondrer. Mais j'espère simplement que je serais seule. Personne ne doit voir ça. Ce désastre appelé humanité. Cette maladie appelée burn-out, comme une jolie figure en voiture de course. Les digues cèderont et ma carapace se brisera. A ce moment je serais à la merci de mes sentiments. Peut-être que finalement je suis cette fille sombre que les gens voient en moi. Peut-être que je suis cette fille qui l'a fait flipper la première fois où nos regards se sont croisés. Peut-être que je me mens en essayant de dire que tout va bien. Peut-être. Ma vie est devenue un peut-être et pour échapper à cela je bosse. Pour des échecs. Pour dire que je ne baisse pas les bras. Pour être taxée de têtue. Pour être taxée d'acharnée. Pour ne plus dormir mais me dire que c'est pour la bonne cause. Pour arrêter de culpabiliser à chaque fois que je quitte mon bureau autre chose que pour aller chercher une feuille de cours.

Je tiens à présenter mes excuses à tous ceux que j'ai blessé. A toi qui me dis que je m'éloigne. A vous qui m'offrez des cadeaux alors que je n'ai pas la force de vous rendre. A ma famille qui me croit encore capable de faire quelque chose de ma minable vie.

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