Hantée

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- J'ai une question, je peux te la poser ?

- Oui.

- Qui es-tu ?

Je souris légèrement. Cela faisait bizarre.

- Tu ne poses pas la bonne question.

- Alors quelle est la bonne ?

- Qu'est-ce je suis.

Elle soupira, remonta d'un doigt les lunettes qui glissaient sur son nez. Je suis exaspérante parfois. C'est ce qui fait mon charme comme on dit. Mais je n'ai aucun charme.

- Alors qu'est-ce tu es ?

- Hantée.

Cette réponse, murmurée comme une honte est pourtant la vérité. Je suis hantée. Par des voix, des bribes d'énigmes, des histoires, par mes propres personnages. J'ai cru trouver dans l'écriture le réconfort que le sport ne pouvait m'offrir à cause de sa violence. Je n'ai que fait m'enfoncer. J'ai d'abord adoré cette sensation nouvelle d'enfin avoir trouvé quelque part pour faire partager mes écrits. Mais en fait j'ai été emportée. Je n'écris plus pour le plaisir. Ou plutôt j'ai peur de publier ce que j'écris pour le plaisir. Et mes personnages me hantent.

- Tu fais peur quand tu dis ça.

- Je sais.

- Alors pourquoi tu le dis ?

- Parce que on m'a toujours dit de dire la vérité.

- Est-ce la vérité ?

- Oui, j'ai trop souvent regretté d'avoir menti pour me risquer à souffrir de nouveau.

- Pourquoi mentir ?

- Parce que le mensonge glorifie pour quelques heures n'importe quelle personne. Et l'attention, qui d'ordinaire se détourne d'elle, se focalise.

- Mais ce n'est pas logique.

- Oh si. Tout le monde, même si personne ne l'avoue, vit dans le regard des autres.

- L'attention portée devient une impression d'être vivant.

- C'est cela, une impression addictive.

- Alors tu as menti.

- Je ne veux pas en parler.

- Est-ce pour continuer de mentir ?

- Plutôt pour préserver quelques bribes d'un bonheur qui m'échappe.

- Mais si je découvrais que tu m'as menti, je...

- Oh tu serais comme tout le monde. Tu me haïrais avant de regretter de bons moments mais dans toutes ta fierté tu attendrais que je revienne. La coupais-je.

- Et tu reviendrais ?

- Non.

- Quoi ? Mais pourquoi ?

- Parce que tu te seras éloignée. Repoussée j'attendrais le moindre signe que tu laissera à ma portée pour revenir te voir, expliquant et excusant.

- Je vois où tu veux en venir. Ma fierté m'empêcherait de laisser des signes.

- Oui.

- Hantée et menteuse hein ?

- Tu vois. Tu commences déjà à me juger.

- Mais non...

- Tu nies ton propre jugement. Ma fin est proche. Le menteur n'avoue jamais. Tout simplement parce que même si sa vie en dépendait, personne ne le croierait plus.

- Sa vie par le regard des autres ?

- Oui.

- Pourquoi personne ne le croit ?

- Crois-tu un menteur ?

- Non ! Enfin ça dépend de la personne.

- C'est faux. Tu mets en doute tout ce que tu n'as pas vu. Parce sa parole est fausse. Tu penses que s'il t'a menti sur la couleur de ses chaussettes le jour du mariage de la tante du cousin de sa voisine de palier, il t'as aussi menti sur ses amis, sa vie privée, et même votre relation.

- Pour une couleur de chaussettes ? N'importe quoi !

- Il faut voir les choses telles qu'elles sont.

- C'est vrai.

Elle fronce les sourcils, tente de saisir l'ampleur de ce que je lui explique.

- Si tu ne crois pas le menteur, c'est que tu remets en doute sa parole. Tout.

- C'est vrai. Répète-t-elle.

- Mais si tu le connais, tu risques aussi de douter de l'avant.

Un faux sourire comme ils étaient si nombreux ponctua ma phrase.

- Douter de l'avant parce que le présent est faux.

- Pour une couleur de paire de chaussettes ? Reprend-elle. Ce n'est pas grave.

- L'exemple n'est jamais grave. Pour ne pas effrayer l'étudiant. Parfois c'est très grave. Mais le pardon est une preuve de sagesse. Es-tu sage ?

- Oui.

- Si tu réponds oui c'est que tu n'es pas sage. Le sage ne répond que 'peut-être' parce même avec toute sa sagesse il ne peut influencer sa propre personne, ses propres réactions. Le sage ne vante jamais sa sagesse.

- Le sage ne pardonne pas alors ?

- Si mais il ne s'en vante pas.

- Oh...

- Es-tu sage ? Sois sincère avec toi même.

- Non. Parce que je sais que si un mensonge est révélé je risque de m'emporter sans réfléchir.

- Tu fais preuve de sagesse en devinant ta réaction.

Je suis fière d'elle. Peu de gens savent me rendre fière. Elle si. Elle n'avait jamais vraiment su mentir. Ou alors je la connaissais trop bien pour pouvoir passer à côté de ces petits signes qui me faisait comprendre qu'elle me cachait quelque chose. Souvent parce qu'elle ne se sent pas bien et qu'elle ne veut pas inquiéter. Elle sait aussi pour moi. C'est comme ça. Si le sage est aussi celui qui comprend au-delà des mots, qui sait lire entre les lignes, ouvrir les yeux sur les choses et comprendre la peine, alors nous sommes sages. Très sages.

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