Other Worlds

Apparition

La fête battait son plein déjà depuis plusieurs heures lorsque les portes se sont ouvertes, tout doucement, comme si la personne derrière tentait de passer inaperçue. Enfin les battants de bois sculpté laissèrent l'assemblée voir le retardataire. Quelques murmures parcourent l'assemblée comme un frisson. L'homme en qui la fête était donnée sentit son coeur s'emballer. Ce n'était pas un retardataire, mais une retardataire. Elle était là, si douce et fragile dans sa robe immaculée, ses cheveux noirs d'encre répandus sur ses épaules frêles. Elle semblait faite de verre et de cristal, prête à se briser si l'on soufflait trop fort dans sa direction. On aurait dit une apparition venue ici pour donner un peu de beauté pure à voir à des gens pour qui seul l'argent constituait un véritable motif pour continuer de vivre. Le jeune homme, sentait les battements désordonnés de son coeur trahir que la jeune femme qui venait d'entrer était quelqu'un d'important. Ou plutôt quelqu'un qui devait devenir important. Comme si elle avait entendu ses pensées, la divine créature se tourna vers lui et eu un sourire simple. Sourire qui trouva un écho en lui. L'homme se souvient, comme on retrouve les souvenirs d'un rêve perdu, des crins de cheval dans ses mains, la lumière pâle de lune, de cette odeur de forêt. Sa mémoire lui rejoue la scène, pour mieux l'en imprégner. La jeune fille qui marche, une robe légère sur les épaules, pieds nus, ses cheveux libres. Elle ne fait aucun bruit, aucune branche ne craque alors qu'elle s'approche de la rivière. Elle est jolie, et ce d'autant plus qu'elle se pense seule. Lui reste à l'orée des bois, immobile, l'observant comme une apparition. Elle s'était avancée dans l'eau, défiant les courants de la bousculer. L'eau semblait l'approcher, caresser ses jambes sans jamais la pousser. Le courant était pourtant fort ici. Pas pour elle. Son cheval avait renâclé soudain, la faisant se retourner d'un bond. Avant qu'il n'ait pu faire quoique ce soit, elle s'était retournée, avait sifflé un cheval. Un étalon était sorti des bois et avait filé dans sa direction. Sans daigner utiliser les étriers, elle avait bondi en selle et talonné son cheval. En quelques secondes elle avait disparu, ne lui laissant qu'une impression, celle que le paysage était soudainement vide.
Reprenant pied avec la réalité, il croise le regard de la fille qui s'est approchée de quelque pas, sa robe immaculée flottant autour d'elle comme autant qu'une écharpe de brouillard.
Elle s'approche encore, un sourire distant sur les lèvres, de ses parents. S'incline doucement devant eux, avec une telle douceur que personne ne semble pouvoir lui reprocher son retard.

- Va, jeune enfant, amuse toi. Déclare son père, avant de relancer l'orchestre.

Sans se préoccuper du regard inquisiteur des autres sur ses épaules, la jeune femme se dirige vers lui. Il l'observe avancer, incapable de bouger. Lorsqu'elle s'incline devant lui, il se sent manquer d'air, alors qu'il ne s'était même pas rendu compte qu'il avait arrêté de respirer. Déjà, inconsciente de son trouble, la jeune femme se détourne. Alors qu'un homme s'approche d'elle, comme pour l'inviter à danser, le prince reprend enfin le dessus de ses émotions. Il fend la foule et lui attrape une main. Elle virevolte avec grâce pour lui faire face. Elle lui décoche un sourire qui se fiche dans son coeur.

- Voulez-vous m'accorder cette danse ? Demande-t-il doucement.

Elle ne répond que par un sourire et lui tend son autre main. Le roi les observe avec un léger sourire. Il a connu ça un jour. La femme à ses côtés l'en atteste. Comme si elle avait compris ce à quoi il pensait, elle se tourne vers lui pour lui prendre la main. Ils se tournent de nouveau vers la salle. Un cercle s'est formé autour du prince et de l'inconnue. L'orchestre se lance dans une valse. Se transformant, la timide inconnue se mue en une danseuse invétérée et assurée. Le bleu nuit du costume du prince fait ressortir ses traits altiers et met en valeur la blancheur de la robe de l'inconnue. Leur danse est enchanteresse. Ils passent la soirée ensemble, finissant par s'éclipser. Ils se retrouvent sur un balcon. Elle fait face à la nuit comme si elle la voyait pour la première fois.