La distance entre nous est parfaite. Juste ce qu'il faut pour les observer en toute tranquillité. Chaque mouvement de Sarah, du dépôt de son sac à la confection rapide d'une queue de cheval. Chaque geste de Cléandre aussi. J'ignore pourquoi, je l'ai toujours imaginé attendre le début des cours dans une immobilité parfaite ; il n'en est rien. Il griffonne, la main gauche glissée sous sa capuche, juste au niveau de l'oreille. Je l'imagine en triturer la boucle. Et pourquoi pas mon scorpion ?

La curiosité me dévore, je donnerais cher pour retirer ce fichu bout de tissu, mais aussi pour lorgner sa feuille. L'espace d'un instant, mon vu s'exauce : la capuche glisse sur sa nuque. Sa main quitte aussitôt l'oreille pour la remettre en place, j'ai tout juste le temps d'apercevoir une marque noire sur sa peau blanche. Un tatouage ? 

Jared interrompt mes réflexions : il se laisse tomber à mes côtés, non sans lâcher un profond soupir ; il serait bien resté au lit, la reprise lui reste en travers de la gorge. D'ailleurs, il ne comprend pas comment je peux me montrer si heureux de si bon matin.

– J'aurais pensé que tu te morfondrais d'avoir loupé ton coup avec Sarah. Qu'est-ce qui t'a pris, sérieux ? Elle te bavait dessus, j'suis sûr qu'elle aurait quitté Capuche si tu lui avais fait les yeux doux !

Mon regard noir le surprend. Suspicieux, Jared m'étudie, approche son visage du mien, yeux plissés. 

– Nath, ne me dis pas que tu lorgnes sur Capuche.

Mon air offusqué le rend plus dubitatif qu'autre chose. Il me connaît par cœur, depuis dix ans que nous nous côtoyons. On a même expérimenté notre premier baiser ensemble ; Grégoire, le garçon le plus odieux de la classe, se vantait partout d'avoir embrassé sa copine avec la langue. Nous ne le croyions pas, mais pour prouver son mensonge, nous devions savoir de quoi nous parlions. L'essai fut concluant, Grégoire démasqué et je m'aperçus à l'époque que les filles n'étaient pas les seules à titiller mes hormones. 

La pointe d'un stylo se loge dans mon oreille et me tire un piaillement. Aussitôt, une trentaine d'élèves se tourne vers moi. Il en fait partie. J'ai l'impression que son regard lavande me transperce. Malgré sa capuche, son visage levé vers nous me permet de le voir mordiller un crayon de papier. Lorsqu'il se détourne, je crois apercevoir un sourire énigmatique sur ses lèvres. Mon cœur s'affole.

– Je regarde Sarah, comme d'habitude, pas ma faute s'ils sont toujours ensemble.

- Nath... Sarah n'est pas là, je viens de la croiser devant les toilettes. Mais bon, tu admires peut-être son sac ? Ce qui n'expliquerait pas ce porte-clef étrange sur ta trousse. 

Les joues en feu, je m'affale sur la table. Je n'avais encore jamais menti à Jared de manière aussi flagrante. Je me sens obligé de me justifier. 

– C'est pas ce que tu crois. J'essaie juste de comprendre pourquoi il a fait ça.

– Fait quoi ?

– Pendant le secret santa, tu sais, quand il m'a presque embrassé.

Affairé à déballer classeur, feuilles et trousse de son sac, Jared tarde à répondre. Mes doigts tambourinent sur la table, je redoute autant que j'attends l'explication que mon meilleur ami ne manquera pas de me donner ; il a toujours un avis sur tout. 

– Arrête de te faire des films, il te remerciait juste pour la boucle d'oreille. Moi, ce que je me demande, c'est pourquoi tu m'en a même pas touché un mot en deux semaines. Inhabituel pour toi, tu craques sur lui ou quoi ?

– Mais carrément pas, je suis amoureux de Sarah ! Capuche, c'est juste... à cause de ses yeux.

Rien que leur évocation me pousse à regarder dans sa direction, mais mon regard ne rencontre que son dos. Un frisson le parcourt. Alors que je l'imagine déjà se sentir épié, il tire de son sac une écharpe à carreaux noirs et blancs avant de l'enrouler autour de son cou : il a juste froid. Déception.

Indéchiffrable CléandreWhere stories live. Discover now