"Pour faire gros"

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-Donc pour faire gros.. Je, je suis gay.

Ma mère était silencieuse, muette comme une carpe. Je n'aurais pas dû lui parler de tout ça. Mon père, en revanche, acceptait la nouvelle. Il m'avait serré la main de façon plus viril que ce que je suis puis, m'avait pris dans ses bras en riant. Il trouvait drôle cette façon que j'ai eu de tourner autour du pot pendant plus d'une heure entière. J'étais heureux de sa réaction puisque c'était celle que je redoutais le plus. Je trouvais dommage que celle de ma mère soit si froide.

-Maman? Lui demandais-je, inquiet.

Elle ne me répondait pas, ne posait même pas son regard sur moi. Ma poitrine devenait lourde. J'avais cette aigre impression d'avoir gâché ces belles journées de célébrations avec cette sortie du placard. Je m'approchais donc de ma mère dans le but de lui faire une accolade qui égayerait son refus. Pourtant quand je fu près d'elle, elle lâchait son chiffon et retirait son tablier à la hâte.

-Je vais chercher du lait. Susurra-t-elle, faisant tout de même l'effort de me faire un sourire.

Faux, mais tout de même un.

Puis, les mains tremblantes, elle déposait les bouts de tissus sur le comptoir de la cuisine. Elle préférait opter pour son manteau, ses bottes et son excuse bidon. Elle partait en fermant la porte doucement, nous laissait mon père et moi dans un silence gênant. Finalement, mon père me rassurait, de son gros accent, que je n'avais rien fait de mal et qu'il parlerait à ma mère à ce sujet.
Je sais qu'aimer n'est pas mal, c'est seulement de croire que d'autres personnes pensent que ça l'est qui me blesse. Ma mère en bonus. Je lui souris pour ne pas qu'il voit ma peine. Cela semblait fonctionner puisqu'il me rappelait à l'ordre pour l'aider à nettoyer la vaisselle. La fenêtre devant laquelle nous étions nous laissait admirer un large paysage enneigé. Soudain, je n'avais qu'une seule envie; Aller me jeter dans toute cette neige.

Je finissais rapidement de frotter les quelques couverts restants, puis enfilais mes bottes et mon manteau sans réfléchir. Du haut de mes 25 ans, je m'élançais dans ce bonheur froid et entamais des anges. Mon père, de la fenêtre de la cuisine, riait de cette attitude et prenait rapidement une photo. Il me rejoignait ensuite, avec le traîneau et nous glissions durant toute l'heure qui suivit. Une petite coline n'était qu'à quelques mètres de là, nous étions bien loin dans la campagne, nous en étions encerclés. Quand nous revenions à la maison, complètement trempés et les membres engourdis par nos incontournables batailles, la voiture n'était toujours pas là. Mon inquiétude quant à ma mère revenait comme elle était arrivée. C'était un peu long pour simplement aller chercher du lait..

-T'inquiètes pas! S'exclamait mon père de sa voix d'homme. Elle sera pas longue, ta mère, pour revenir. Je la connais, faut seulement lui laisser du temps!

Il avait sans doute raison. Pourtant, même si je savais qu'elle reviendrait, j'avais envie de pleurer son départ. J'essuyais ma tristesse d'un mouvement de tête et allait me laver pour éviter de prendre froid. Quand mon bain eût été pris, je me sentais léger et plus détendu. Je m'habillais d'un pyjama bleu couvert de petits sapins décorés, tout moelleux. Ma mère me l'avait offert hier, fière de cette belle découverte au marché du village un peu plus loin.

Il était vrai que nous étions bien situés. Quoiqu'isolée dans les bois, notre demeure était près du village et d'un grand court d'eau où nous allions camper, quand j'étais enfant. Mon père n'y a jamais pêché, il trouvait inutile d'enlever la vie à des poissons alors que ma mère et lui n'aimaient pas cela. Ni les fruits de mer d'ailleurs.

Mon père et moi parlions, échangions quelques potins sur nos vies. Il disait s'être ennuyé de son fiston, qu'il aimerait le voir plus souvent
-chose qui me fit culpabiliser-. Il disait aussi essayer de se mettre à la pêche pour vendre ses appâts au marché le dimanche après la prière, à leur retour de l'église ma mère et lui. Mon père appuyait bien sur le fait qu'il n'en pouvait plus de se lever si tôt ce jour de repos alors qu'il n'était même pas croyant. Que selon lui, la vie reposait plutôt sur la vie après la mort, le karma et l'acheminement spirituel. Ainsi, notre discussion s'étira sur des croyances philosophiques qui se closaient comme à l'habitude par un grand «En tout cas, c'est pas demain la veille que ces croyants vont avoir des réflexions dans ce genre!» de mon géniteur. Suivi bien entendu de «Surtout, pas un mot à ta mère hein?» qui me faisait autant rire à chaque fois. Ahlala, celui là! Au fond, il n'aime simplement pas la façon dont les gens à l'église pensent. Personnellement, je trouve beau cette façon que ces personnes trouvent à garder foie et espoir dans toutes les situations.

-Parlant du loup. Murmura-t-il à mon intention.

Je tournais rapidement la tête dans la même direction que lui pour y voir ma mère, une pinte de lait à la main. Elle tenait ses mensonges jusqu'au bout dit donc! Même mon père semblait amusé par cet achat qui en disait long. Il perdait son sourire en croisant son regard et en remarquant qu'elle le saluait lui et seulement lui. Elle lui parlait et je n'écoutais pas ce qu'elle disait, trop concentré à observer la scène. J'avais mal. Très mal. Je sentais un poids sur mes épaules qui m'écrasait. Je voudrais tant disparaître à cet instant. Du coin de l'oeil, mon père me regardait et voyait clair dans le jeu de ma mère. Il serrait fort les accoudoirs du fauteuil, tellement que ses jointures en étaient blanches. Il se levait et, coupant sa femme dans ses paroles, nous incitait à passer à la salle à manger. Nous nous assisons tous à la table dans un silence malaisant.

-Ça suffit, Méludine! Tu vois pas comment tu blesses notre enfant en agissant de même? Bah oui, il est gay, qu'est ce qu'on peut faire d'autre que l'aimer comme on l'a toujours fait? Y a besoin de support notre jeune pis si tu veux pas l'aider quand y a besoin de ton support aussi, tu brises la p'tite famille qu'on forme les trois.

Finalement, de sa voix portante, mon père déclarait la discussion ouverte entre ma mère et moi, accompagné d'un coup sur la table. Tel le marteau qu'utilise les juges pour déclarer les procès ouverts ou les sentences. Puis, il quittait la maison pour aller bûcher du bois, claquant un peu la porte derrière lui. Nous tournions ensuite la tête face l'un à l'autre, appréhendant cette discussion.

Ps- La voix du père est québécoise

~
Des québécois qui lisent cette fic?
Désolée du retard :)

Mon tuteurWhere stories live. Discover now