"J'ai de la chance, maman"

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Lorsque je terminais de raconter ma situation à Émile, un léger silence s'installait. Il réfléchissait, pensait aux mots qu'il allait utiliser pour me donner son opinion sans me brusquer. J'appréciais grandement ce geste de sa part, car j'avoue avoir moi-même eu de la difficulté à tout raconter sans revenir sur mes mots pour mieux décrire ce qui s'est passé.

-Vous devez parler. Fini-t-il par lâcher.

-Ça ne fait aucun doute! Rétorquais-je comme si c'était évident. Seulement, c'est pas facile tu sais.. Le simple fait de penser à lui me laisse une arrière-pensée de mensonges. J'ai l'impression que s'il a réussi à me mentir si longtemps il sera capable de le refaire, dieu seul sait sur quel sujet. Je soufflais un grand coup et me passais les mains sur le visage, comme pour essuyer cette pensée grotesque de la personnalité de mon père. Il n'a pas toujours été comme ça. Du moins, je l'espère. Je ne connaissais rien de cette facette de mon paternel avant mon coming out et l'apparition de cette Luciné..

-Ah merde, je râle. Mon coming out.

Et là je comprends que l'homme vas me détester à jamais.

Mon meilleur ami restait bouche-bée. C'est normal qu'il ne savait pas que dire à ce sujet. Pourtant, je sentais sa curiosité monter en flèche. Il se demandais sûrement comment on se sentait lorsqu'on en parlait à ses parents, l'impact que ça avait sur nos relations familiales. Mais il ne bronchait pas un seul mot et restait attentif. À cet instant, j'avais tant besoin d'une réaction, d'une phrase qui me permettrait de faire le point sur tout.

-Je, hésite un peu le châtain, je sais pas quoi faire pour t'aider du côté de ton coming out. Mes épaules s'affaissent, perdant l'espoir qui les soutenait si rigidement. Mais! Reprends-t-il, cette Luciné, on peut la mijoter un peu. Apprendre à la connaître juste assez pour savoir quel genre de personne elle est. Comme ça, on saura si on doit se méfier d'elle ou non!

Attentif à ses explications, je me contentait d'hocher de la tête face à ce plan excellent. Apprendre à la connaître, puis juger si son coeur était bon ou si elle faisait semblant. Pour une rare fois, je félicitais Émile pour ses bonnes idées. Il me racontait ensuite son Noël, les présents qu'il a eu et les anecdotes humiliantes à son sujet. Il me raconta sa première cuite, "ravageuse" comme il me l'a si bien dit avant d'enfoncer sa tête dans un oreiller décoratif du sofa. L'ambiance était légère, chaleureuse. Chris hantait mes pensées et il devenait difficile de résister à la tentation de prendre le premier bus se pointant pour le rejoindre. Malgré tout, j'avais plusieurs choses à mettre au point avant de pouvoir quitter ma demeure, dont mes relations familiales qui étaient la première chose sur cette longue liste. La nouvelle année approchait à grands pas, repartir du bon pied était donc mon objectif à atteindre pour ce jour fatidique.

Ayant trouvé quoi faire en ce magnifique 26 décembre, je me préparais et en moins de deux, me retrouvais auprès d'Émile dans le centre-ville. Nous célébrions donc le jour des boîtes mon meilleur ami et moi, pour conclure cette journée froide d'hiver. Durant cet après-midi, Émile faisait du "lèche-vitrine" sur plusieurs articles qui normalement étaient hors de prix pour son salaire d'épicier. Pour ma part, je vérifiais les pancartes "Nous embauchons" collées aux vitrines des bâtisses offrant des emplois qui pourraient m'intéresser. Malheureusement, aucune ne semblait me correspondre et au bout du compte je n'avais réussi qu'à dépenser par-ci par-là pour des babioles et des petits présents pour mes proches. Je n'avais pas tant de famille et d'amis que cela, j'avais donc peu de cadeaux à offrir. Finalement, j'avais passé une bonne fin de journée en compagnie de mon meilleur ami, son enthousiasme m'ayant revigoré. Lorsque l'heure fût venue de nous séparer, nous échangions une accolade puis prenions des chemins différents. Le soleil était tombé depuis un bon moment déjà et les réverbères éclairaient la petite foule de courageux. D'une main, je tenais mes quelques sacs tandis que l'autre, plus frileuse, s'était niché au creux de mon manteau. Du bout des doigts, je tâtais le dernier billet de mes économies et me demandait que faire avec. Finalement, je rentrais dans la petite boutique fleuriste du coin, tout près de l'épicerie où travail le châtain. J'en ressortais quelques minutes plus tard avec un bouquet de "fleurs de la tendresse", comme les appelait la vendeuse. Je leur trouvait quelque chose que les autres fleurs n'avaient pas, quelque chose de si simple qu'elles m'avaient fait penser à ma mère. Cela pourrait aussi bien être leur couleur ou seulement parce que leur texture semblait moelleuse. D'un pas décidé, je marchais en direction du cimetière. Elle m'attendait depuis un bout de temps, ça ne faisait aucun doute. Soudain, je cessais tout mouvement. Je fouillais mes poches de manteau et y trouvait un crayon, petit mais qui ferait suffisamment l'affaire. J'écrivais quelques mots sur la petite carte fournie avec l'emballage pour les plantes puis repris mon chemin, satisfait. J'esquissais un sourire en pensant que je devais ressembler à un gars sur le point de rater son rendez-vous et qui s'y prenait de dernière minute. Les grandes portes ferrées et grinçantes du cimetière me rappelaient à l'ordre alors que je divaguais encore dans mon imagination. Je franchissais la limite de cet endroit sacré avec fébrilité. Combien de temps cela faisais-t-il que je n'avais pas revu cette femme? Bien trop longtemps, je suppose. Ça n'avait pourtant pas été le temps qui m'avait manqué.

Parmi les tombes de ces personnes historiques, je ne me sentais étrangement pas à ma place. Peut-être étais-ce les belles éloges dont toutes les pierres étaient couvertes qui me mettaient dans l'embarra de ne pas être passé. Un peu plus loin, je la voyais. Là, au centre du cimetière, trônait la pierre de ma mère, digne d'une reine. Même morte et six pieds sous la terre, sa simple "présence" me faisait du bien. Autant du bien que du mal pour tout dire. Car je sais que je suis la cause de son décès. Je sais aussi que malgré toutes les larmes que mon corps pourrait verser et toutes les prières que je pourrais exécuter, elle ne reviendra pas d'où elle est.

Doucement, je m'accroupis afin d'y déposer le présent futile que j'aurais dû lui offrir plus souvent et bien avant. Je me sentais seul et complètement dénudé face à ma génitrice, malgré sa distance. Je sentais peu à peu ma carapace se fendre, se fissurer,  comme si..

-Comme si tu me l'arrachais. Murmurais-je à son intention. 

Le vide s'empressait d'engloutir ces quelques mots, les emportant avec lui d'une simple petite bourrasque venteuse. Finalement, ma carapace volait en éclat, laissait la réalité s'infiltrer à l'intérieur de celle-ci. Elle était si froide et pourtant me faisait brûler de regret..

-Salut, maman. Ça fait longtemps, hein? Tu dois sans doute vouloir que je parte mais j'ai quelque chose d'important à te dire avant. Je sais, c'est à cause de moi que tu es là et je m'en veux chaque jour de ma putain de vie, je te le jure.. J'ai quand même besoin de ton approbation. Est-ce que c'était stupide? J'aime un homme. Je ne pu empêcher un petit sourire à cette pensée. De tout mon coeur. Je sens que c'est la bonne personne, celui qui m'attendra et que j'attendrai pour toujours. Je m'assoyais sur un rocher tout près, continuais mon récit. J'ai conscience d'être jeune et d'ignorer pratiquement tout sur l'amour. Qu'il est mon aîné et qu'il risque la prison si papa apprends notre relation. Parce que je sais qu'il serait contre notre amour. Tu dois sûrement l'être aussi, d'où tu es en ce moment. Cette phrase me blessa un peu, mais je continua malgré tout. Je ressentais le besoin de lui confier moi-même mes problèmes. Mais je sais aussi qu'il est rare de rencontrer cette personne qui fait chavirer notre coeur et bouillonner nos pensées par un simple regard. Que peu parviennent à la trouver.

Tout au long de ces mots, je fixais obstinément le sol sous mes pieds, ce sol couvert d'une épaisse couche de neige. Je leva le regard  vers la pierre sculptée en l'honneur de ma mère, les yeux embrouillés de larmes. Elles allaient sans doutes geler dans quelques secondes si elles ne coulaient pas. Je ne m'inquiétais pas pour ces gouttelettes, ni pour le froid mordant de cette soirée, ni de la présence d'autrui dans cette place publique.

-J'ai de la chance, maman. J'emmerde papa et son homophobie, ces enculés qui foutent la merde dans mon couple et ces gens qui n'osent pas m'approcher pour avoir seulement voulu défendre plus faibles. Je déteste la vie et moi-même de m'avoir retiré ta présence. Mais j'ai trouvé l'amour de ma vie, un meilleur ami en or et je sais que le destin me réserve un chemin plutôt bien. Parce que je crois que j'ai eu mon quota de situation merdique. Je fermais les yeux, laissais cette eau ruisseler sur mes joues et fondre dans cette neige trop blanche.

Je me levais enfin, essuyais les quelques amas de flocons sur le petit édifice et regardais le ciel, reconnaissant. Je rebroussa chemin et rentra chez moi, prenant mon temps. Je me sentais si léger à cet instant..

Mon tuteurWhere stories live. Discover now