63- À l'aube de l'hiver

Start from the beginning
                                    

— Beaucoup de choses sont interdites, White. Ça ne nous empêche pas de les faire. Vous avez bien tué une gamine.
— Une sourace, corrigea le prisonnier l'index levé. Ce n'est pas la même chose, le détail est important et...
— Et vous avez essayé de tuer le jeune Presley, continua l'agent Hoyt. Sans succès, bien sûr. On n'oublie pas non plus votre projet d'empoisonner l'eau de la vallée.

Ethan White se mordit les lèvres, puis baissa la tête. Un rire dément retentit dans sa cellule malodorante. L'agent Hoyt n'eut aucune réaction, il se contentait de fumer lentement sa cigarette tout en observant le prisonnier qui perdait visiblement la raison. Puis, tout à coup, le rire cessa. Les épaules du professeur White s'affaissèrent. L'homme releva doucement la tête. Il approcha son visage émacié et murmura à travers les barreaux...

— Il viendra.
— Votre avocat ? s'enquit l'agent Hoyt avec une certaine lassitude.

Le prisonnier secoua lentement la tête. Les cheveux épars, la bouche ouverte et les lèvres desséchées, le regard torve et humide, il n'avait plus rien du fringuant professeur qui faisait tourner la tête des filles. Il ressemblait à un aliéné sur le point de craquer sans espoir de jamais revenir à un semblant de cohérence.

— Je ne connais pas son nom. Personne ne le sait. Il ne le dit jamais. Mais c'est lui qui a voulu tout ça. C'est lui.
— Ah. Le fameux coup de l'homme-mystère que personne ne voit et qui est responsable de tout à votre place. Pratique ce classique, n'est-ce pas ?

Le visage sceptique de l'agent Hoyt voulait tout dire. Mais le professeur White ne se découragea pas. Il s'accrocha plus fermement encore aux barreaux de sa cellule.

— Vous ne comprenez pas... il existe ! Il sait tout. Il voit tout. Il est toujours là... tout le temps... Il résonne sans cesse dans ma tête. Il ne me laisse jamais seul. Jamais. C'est un écho qui se répète à l'infini.

L'espace d'un instant, j'eus presque pitié de l'homme qui serrait convulsivement les barres d'acier tout en se mordant la bouche. Ses lèvres tremblaient, et il me semblât qu'il allait se mettre à pleurer, mais il n'en fit rien. L'agent Hoyt ne sourcilla pas. Si le professeur White avait espéré l'attendrir, c'était peine perdue.

— Je pense qu'on s'est tout dit, White.

L'agent Hoyt écrasa son mégot sur l'un des barreaux de la cellule, tout près du visage du prisonnier désemparé, puis s'éloigna. Il fit quelques pas, mais alors qu'il approchait de la porte, Ethan White murmura :

— Vos parents n'ont pas souffert. Mais pour votre sœur... Ça a tellement duré... D'ailleurs, on ne l'a pas trouvée tout de suite sous les cadavres. Ils étaient trop nombreux, il faut dire.

L'agent Hoyt s'arrêta tout près de moi. Dissimulée dans la pénombre, je me collai de mon mieux au mur, retenant ma respiration. Je vis son visage se durcir, comme en proie à une colère incommensurable. Puis, lentement, ses traits se détendirent et l'agent Hoyt reprit sa marche vers la porte du couloir.

— Votre instinct ne vous a pas trompé, Logan... reprit le professeur White en parlant plus fort à mesure que l'agent Hoyt s'éloignait. La fille est mêlée à tout ça, vous savez qu'elle l'est. Vous  le verrez bien assez tôt que je ne mens pas. Je serai là quand vous voudrez ouvrir les yeux ! Je serai là ! Ne m'oubliez pas ! Ne m'oubliez pas !

La porte résonna bruyamment dans le couloir de la salle de détention lorsque l'agent Hoyt la referma derrière lui. Puis ce fut le silence complet. Plaquée contre le mur, je ne bougeai pas d'un centimètre. Encore moins lorsque le regard vitreux du professeur White se posa sur le coin d'ombre où je me dissimulais. M'avait-il vue ? Le cœur battant, je laissai passer plusieurs secondes afin de m'assurer que la voie était libre. Je tendis l'oreille, et lorsque je fus certaine de ne rencontrer personne dans le couloir, je quittai silencieusement ma cachette.

Kivari #1Where stories live. Discover now