53- L'étoile au bout du monde

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— Nous arrivons bientôt.

La voix grave de Kila me tira brusquement de mes pensées. Nous marchions dans la forêt depuis plusieurs minutes. Kila m'avait attendue dans la clairière, elle était devenue le lieu de rendez-vous habituel dont nous avions convenu : Tous les jours après les cours, elle m'emmenait dans la forêt pour m'enseigner ce qu'elle savait. Je marchais en silence aujourd'hui. Si j'étais heureuse d'en apprendre un peu plus sur la nature des kivaris, je restais néanmoins confondue par ce que j'avais appris un peu plus tôt dans la journée : Sam Walker avait été identifié comme étant l'agresseur de Dylan Presley. Et par extension...

— Parle-moi, esh-kirith... encouragea Kila d'une voix douce.

Comment ? Comment lui dire que Sam était peut-être l'assassin de Meori ? Je me mordis la lèvre au souvenir de ce qui s'était produit dans la matinée. Sam s'était laissé coffrer sans rien dire tandis que Logan lui avait récité ses droits. Le jardinier n'avait pas émis la moindre protestation quand l'agent Hoyt avait relevé le caractère concordant des blessures de Meori et de Dylan ; pour l'inspecteur, la forme des lames du sécateur trouvé dans les sacs à engrais correspondait parfaitement. Ma mère lui avait préconisé de ne pas aller trop vite en besogne, arguant que le sécateur devait partir immédiatement pour le laboratoire et qu'une comparaison devait être effectuée quant aux mutilations constatées sur le corps de Meori et celles présentes sur le crâne de Dylan.

En l'absence de résultats d'analyse, Sam ne devait en aucun cas être considéré comme coupable d'office. Il devait bénéficier de la présomption d'innocence. Non sans hargne, Logan avait soutenu que toutes les preuves étaient devant elle et qu'elle ne voulait simplement pas les voir car Sam était un enfant du pays. Le ton était monté entre eux, au point où seules les lamentations d'un Sam devenu hystérique avaient fait cesser leur dispute. Après les cours, Liam avait filé directement pour le Havenly Memorial Hospital. Quant à moi...

— Tu ne veux vraiment pas me le dire ? insista affectueusement Kila en m'effleurant la main.

J'avalai péniblement ma salive. Il m'en coûtait de la ramener ainsi à ces moments douloureux, mais que pouvais-je faire d'autre ? À contrecœur, je lui racontai fidèlement ce qui s'était passé devant la remise. Au début de mon récit, Kila avait gardé son calme, mais au fur et à mesure que les éléments lui étaient apparus, les traits de la kanash s'étaient durcis. Lorsque j'eus fini, ce fut la louve qui déclara froidement :

— S'il est coupable, il sera puni comme il le mérite.
— Il sera jugé. S'il est coupable, il y aura un procès.
— Ça ne suffit pas ! coupa-t-elle avec violence. Il faut le remettre aux qotsais, ils appliqueront le châtiment qui convient.
— Quel châtiment ?

J'avais posé la question avec une certaine appréhension. Je n'étais pas sûre de pouvoir entendre ce que Kila pouvait bien me dire. C'était l'un des paradoxes qui jalonnaient notre relation : j'aimais sa manière d'être, sa façon de s'affranchir des conventions...

— S'il a tué l'une des nôtres, il devra mourir en retour.

...mais cette même nature libre pouvait se révéler brutale par moments. Je pilai net à la croisée de deux sentiers qui partaient dans deux directions opposées. Kila me fixait avec une dureté implacable.

— C'est la tradition qotsai, esh-kirith. Il doit rendre ce qu'il a pris.
— Elle est morte, ce n'est pas... balbutiai-je sans savoir si mes mots l'atteignaient encore.
— Ce n'est que justice, répliqua-t-elle. Une mort pour une mort.

Celle que j'aimais se trouvait quelque part derrière ce masque de froideur. Même si je comprenais sa douleur, au point de la partager par le biais de Meori, je ne pouvais concevoir qu'une vie puisse avoir valeur d'échange. Les regard bleu d'acier de la kanash s'intensifia, comme si elle me mettait au défi d'oser la contredire. Je posai une main hésitante sur son épaule. J'espérais de tout cœur que Kila ressentait encore la chaleur que j'y mettais.

Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant