Kivari #1

55- Anonyme

Je réussis à me faire porter pâle pour le reste de la semaine. Après ce que Liam venait de m'apprendre, je n'avais plus aucune envie de remettre les pieds au lycée. Je ne voulais pas supporter le regard suffisant de Jenifer, je ne voulais pas croiser celui des autres élèves. Ce garçon là, assis en troisième rangée en cours de littérature... N'avait-il pas ri sous cape en me voyant faire mes lacets l'autre jour ? Et ces deux filles qui se plaçaient toujours dans mon dos en cours de chimie ? De quoi parlaient-elles vraiment lorsqu'elles ricanaient derrière la couverture de leur manuel ?

Confinée dans ma chambre pour le reste de la soirée du dimanche, je me raccrochai à ma couverture. Le mois d'octobre débutait bien... Je jetai un regard à mon téléphone portable posé à côté de mon oreiller : aucun message. Liam n'avait répondu à aucun de mes messages. J'avais eu beau me répandre en excuses, lui expliquer par tous les moyens possibles et imaginables qu'il n'avait jamais été dans mes intentions de le blesser... mais c'était exactement ce que j'avais fini par faire. Kila m'avait tenu compagnie chaque soir, en toute discrétion vis-à-vis de ma mère, durant le week-end. Elle avait essayé de m'emmener dans la forêt, arguant qu'il n'existait pas de meilleur remède aux peines humaines que la chasse à sa connaissance. Mais je n'avais pas eu le cœur à chasser ce soir-là. Ni les suivants.

Lorsque je retournai en cours le lundi d'après, la journée fut pour moi un véritable supplice. Je cherchai le regard de Liam sans relâche, mais il ne m'en accorda pas un seul. Je connus le même sort le lendemain, avec en prime une interrogation surprise à laquelle j'échouai lamentablement par manque de préparation. Et de concentration. J'étais restée rivée sur Liam du début à la fin. Littéralement. À tel point que l'enseignant crut à une tentative de tricherie. J'eus droit à un regard venimeux de la part de Liam lorsque celui-ci fut soupçonné d'être de mèche avec moi. Le premier qu'il daignât me livrer depuis le début de notre brouille. C'était toujours mieux que l'indifférence.

Le lendemain cependant, Liam fut bien obligé de me côtoyer. Le professeur White avait tenu à nous placer en fonction de nos groupes respectifs. Je me retrouvai donc assise près de Liam. Cependant, je ne sus par quel miracle Jenifer réussit à obtenir de ne pas s'assoir avec nous. Mystère jeniferien. J'écoutai d'une oreille distraite le professeur White rappeler qu'il s'agissait de la dernière séance avant la remise du dossier. Pour ma part, j'avais si mal commencé l'année que je me voyais déjà rempiler. Je me secouai néanmoins, et entrepris de noter tout ce qui pouvait aider à la rédaction du dossier. C'était tardif, mais je n'avais que ça. Un coup d'œil discret à Liam m'informa que je ne recevrais aucune aide de sa part : le week-end s'annonçait long et chargé. À la fin du cours, Jenifer se rua au bureau du professeur White. Malgré le brouhaha, je l'entendis vanter les mérites d'un bar du centre-ville et les bienfaits d'une pause-café. La garce. À bout de nerfs, Liam jeta son sac à terre et la rejoignit en deux enjambées.

— Mais tu crois vraiment que tu vas t'en tirer comme ça ? fulmina-t-il alors qu'elle récupérait ses affaires.
— Tu me gênes, dégage !

Le professeur White se mêlait déjà à la masse d'élèves qui s'extirpaient de la salle ; elle voulut le suivre, mais Liam lui bloqua le passage. Je vis les lèvres fardées de Jenifer se pincer : sa proie lui échappait.

— On a un dossier à faire, tu vas pas me le refourguer ! cracha Liam sans bouger d'un millimètre.
— TU as un dossier à faire, corrigea-t-elle tout en cherchant le professeur qui avait déjà disparu. Allez, bouge !

Elle tenta de forcer le passage, mais Liam demeura en place. Il était furieux, je ne l'avais jamais vu ainsi. Du coin de l'œil, je vis Stuart Valenzano se rapprocher progressivement de l'entrée de la salle. Inquiète, je voulus intervenir afin d'éviter une confrontation que je redoutais pour Liam, mais il fut plus rapide que moi.