10- Petit meurtre entre amis

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— Je veux pas être mêlé à ça !

Le vent qui soufflait sur ma peau était plus glacial que prévu. Lentement, je levai les yeux vers Liam qui tournait de long en large dans l'allée qui menait au gymnase. Ses baskets faisaient crisser le gravier à chaque virage rageur qu'il effectuait. Nous avions choisi un coin isolé pour pouvoir discuter. La plupart des élèves préféraient manger sur les tables prévues à cet effet lorsqu'il faisait beau, et nous aurions aisément pu en trouver une de libre au vu des nuages chargés de pluie qui nous surplombaient. Mais compte tenu de ce que j'avais à lui dire, je n'avais voulu prendre aucun risque. Personne ne viendrait au gymnase à cette heure-ci, d'autant plus que les cours ne devaient commencer que le lendemain. Je jetai un œil inquiet en direction de Liam. Il continuait de faire les cent pas dans l'allée, les mains dans les poches. Dire qu'il réagissait mal était un euphémisme, et comment pouvais-je l'en blâmer après ce que je venais de lui apprendre ? C'était trop. Beaucoup trop pour moi également. Et je ne lui avais même pas fait part de l'étrange message laissé par l'assassin. Je détournai momentanément les yeux de Liam et de sa marche furieuse.

Un peu plus loin sur la pelouse, un homme vêtu d'une blouse de travail et d'une casquette passait la débroussailleuse. Je reconnus Sam Walker, le jardinier qui s'occupait également d'entretenir la pelouse du collège. L'enceinte scolaire était divisée en deux grands bâtiments bien distincts. Le plus petit, qui se trouvait à l'autre bout du campus, appartenait au collège et était accessible par une autre entrée. Le plus grand, dans lequel je viendrais désormais quotidiennement pour les années à venir, constituait le bâtiment principal du lycée. Il était lui-même divisé en deux grandes ailes. Derrière l'aile droite se situait le terrain de football ainsi que le gymnase près duquel nous nous trouvions actuellement.

— Liam... commençai-je doucement.

J'estimais lui avoir laissé suffisamment de temps compte tenu du peu dont nous disposions: la pause n'allait pas tarder à s'achever. Liam continuait son trajet aléatoire sans me répondre. Je l'appelai une seconde fois, puis une troisième, de manière plus ferme. Il pila soudainement sur place, me tournant le dos. Je demeurai silencieuse. Enfin une réaction de sa part ! Mais non, il reprit ses allées et venues incessantes sans m'accorder la moindre attention. Installée sur l'une des rares tables en bois qui bordaient le gymnase, je posai nonchalament mes pieds sur le banc tout en soupirant. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Il réagissait comme il le pouvait. Je le laissai donc tourner en rond durant quelques minutes, incertaine de l'attitude à adopter. Après tout, je venais de lui annoncer que nous avions peut-être un lien avec...

— Un meurtre, Eden ! Tu te rends compte ? Un meurtre !

Je relevai la tête. Le mot prononcé à deux reprises me frappa en pleine poitrine. Je quittai précipitamment la table et le rejoignis en deux enjambées: «Shhh ! lui intimai-je à voix basse. Tu as envie que tout le monde l'apprenne ou quoi ?
— C'est passé au journal ! Y a plus vraiment grand chose à cacher.
— À part ce que je viens de te dire, non en effet.», rétorquai-je implacable.

Il me dévisagea durant quelques secondes. Je lui avais répondu plus sèchement que je ne l'avais voulu, mais aux grands maux...

— Et qu'est-ce qu'on va faire maintenant, hein ? reprit-il soudainement. On va pas garder ça pour nous, quand même ! Il faut le dire à la police, il faut leur dire.

Il s'était remis à marcher au hasard, paniqué par ce que je venais de lui confier. Et il y avait de quoi... Entre la brume étrange, le hurlement strident et maintenant le meurtre de la fille de la forêt... Je lui emboîtai le pas, décidée à suivre son rythme pour l'aider à se calmer. Je devais absolument parvenir à l'apaiser si je souhaitais conserver un minimum de contrôle sur la situation. Et c'était pour cette raison précise que j'avais soigneusement omis de lui raconter le message inscrit sur le corps de Meori. Je savais bien qu'il finirait par l'apprendre d'une manière ou d'une autre et je comptais l'en informer rapidement mais, dans un premier temps, j'estimais qu'il valait mieux procéder par étape.

— D'accord, acquiesçai-je en marchant à ses côtés le long du gymnase.

La majorité des élèves — merci à l'absence de soleil — se trouvaient à la cafétéria pour déjeuner. Celle-ci avait été ouverte en raison de l'orientation qui devait durer jusqu'à la fin de la journée. Je n'avais pas eu le loisir de parler librement avec Liam avant la pause de midi, entre la photo annuelle, la carte d'étudiant, les livres et mon emploi du temps à récupérer... Je lui avais pourtant bien envoyé un message la veille, et un deuxième le matin avant de partir, pour qu'il sache que j'avais quelque chose d'important à lui dire et amortir le choc au possible, mais il n'avait pas mesuré à quel point ça l'était. Pas avant cet instant précis.

— D'accord, repris-je avec douceur. Supposons que tu aies raison, on va voir la police et on leur raconte tout. Et après ?

Il s'agita, mal à l'aise.

— Bah... j'en sais rien ? Ils sauront bien quoi faire, c'est leur boulot pas le mien. Et puis ta mère fera bien quelque chose pour nous aider.

Je laissai échapper un rire sarcastique qui sonna davantage comme un coassement.

— Et qu'est-ce que tu veux qu'elle fasse ? Mets-toi un peu à sa place: on a fumé des joints toute la nuit, on est allés dans la forêt sans permission et j'ai parlé à la victime juste avant qu'elle ne se fasse tuer. On aura l'air de quoi, d'après toi ?
— Personne ne va croire qu'on ait pu faire ça... commença-t-il, sur la défensive.
— Liam ! m'écriai-je avant de me rappeler que j'essayais de l'apaiser.

Je me radoucis autant que possible considérant la situation.

— Liam... repris-je sur un ton plus doux. Si je me mets à leur parler de brume, de force mystérieuse et d'ennemi invisible, de quoi je vais avoir l'air ?

Je vis à son expression que les rouages commençaient lentement mais sûrement à tourner dans la bonne direction.

— Les joints... lâcha-t-il finalement.
— Les joints, acquiesçai-je d'un mouvement de tête. Si on parle, personne ne nous croira parce qu'ils vont partir du principe qu'on s'est tapé un bad trip. Putain, même moi je me le demande à force !

Je songeai un instant que l'éventualité existait bel et bien. Après tout, j'avais peut-être déliré ? Je m'efforçai d'y croire, mais à chaque pas que j'effectuais, la douleur qui m'élançait toujours dans le bas du dos et celle qui accompagnait ma bosse me rappelaient que non.

— Attends, on n'est pas certains que ce soit elle, dit soudainement Liam. La kanash, Manori...
— Meori... corrigeai-je doucement.

Une vague d'émotions contradictoires me submergea lorsque je prononçai son nom. C'était un sentiment étrange, ma poitrine m'enserrait comme si j'avais conscience d'avoir perdu un être cher alors que cette fille m'était totalement inconnue. J'avais l'impression de ressentir une douleur qui n'était pas la mienne.

— On n'est même pas sûrs que ce soit elle, continua Liam. Si ce n'est pas elle, on est sauvés toi et moi hein ?

Je gardai le silence. Une affreuse certitude s'était emparée de moi dès l'instant où j'avais reconnu le pont de la rivière à l'écran. Non, cette certitude datait de bien avant. Cette nuit-là, dans la forêt, lorsque j'avais entendu le cri... J'avais su instantanément au fond de moi que quelque chose était arrivé à Meori.

 J'avais su instantanément au fond de moi que quelque chose était arrivé à Meori

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Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant