63- À l'aube de l'hiver

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J'adoptai une attitude triviale face aux agents de police qui émergeaient les uns à la suite des autres de la salle d'interrogatoire. Il ne fallait pas éveiller les soupçons. De qui que ce soit. Ma mère s'enquit immédiatement de ma santé puis, une fois rassurée, m'informa de notre départ imminent pour la maison. Mais je ne voulais pas rentrer. Pas maintenant. Pas après ce que je venais d'apprendre au sujet d'Ethan White. Je jetai un œil discret en direction de l'agent Hoyt. Le jeune inspecteur s'éloignait déjà dans le couloir : il allait retrouver Ethan White. Je ne réfléchis pas bien longtemps au prétexte qui me servirait à le suivre.

— Maman, il faut que j'aille aux toilettes. Ça ne peut vraiment pas attendre.
— Je viens avec toi.

À la vue de mon expression exaspérée, elle ne put s'empêcher de rire de sa propre proposition.

— Excuse-moi ma chérie, mais avec tout ce qui s'est passé dernièrement...
— Tu as du mal à me laisser seule aux toilettes ? achevai-je à sa place en souriant malgré moi.
— Eh bien, oui ! Tu comprendras quand tu seras mère un jour, ronchonna-t-elle.
— Mais j'ai seize ans. Et je peux y aller seule, maman.

Je sentis la lutte intérieure qu'elle menait pour s'empêcher de m'y conduire elle-même. Elle était âpre.

— Le couloir au fond à gauche. Je vais t'accompagner. D'accord, d'accord ! Je t'attendrai dans mon bureau, capitula-t-elle après ma remarque selon laquelle je ne risquais absolument rien dans un commissariat rempli d'agents de police.

Je fis donc semblant d'emprunter la direction qu'elle m'avait indiquée, mais je repris le chemin inverse aussitôt qu'elle ne fut plus en vue. J'avais prêté l'oreille aux déplacements de l'agent Hoyt durant ma négociation avec Claire Atwood. Il ne me fut pas difficile de retracer son trajet vers les cellules du poste. Je dus cependant faire attention à la caméra de surveillance disposée en hauteur, juste à l'angle des murs. Il ne s'agissait pas de me faire prendre. J'attendis le bon moment et profitai de l'angle mort pour passer et débouchai sur une large salle de détention très peu éclairée. L'agent Hoyt se tenait devant l'une des cellules occupée par un homme aux traits tirés : Ethan White. Là, juste à quelques pas de moi. L'homme qui avait essayé de me tuer. L'inspecteur Hoyt et lui étaient déjà en pleine conversation. Je repérai par bonheur un recoin sombre et m'y glissai aussitôt. Silencieuse comme un chat, je m'immobilisai alors dans l'ombre et tendis l'oreille.

— Allons, inspecteur... vous savez aussi bien que moi de quoi il retourne. Ne jouez pas au plus fin. Pas avec moi.
— Je ne joue pas, White.
— Vous ne gagnerez pas.
— Je ne joue pas.

L'homme emprisonné eut un sourire mesquin. Il regarda un instant l'agent Hoyt sans rien dire, puis ses cils battirent, très rapidement. Et son sourire s'étira.

— Moi aussi je connais, vous savez. La douleur de voir son foyer brisé.

L'agent Hoyt ne réagit pas. Il se contenta de suivre du regard l'homme hagard qui se léchait les lèvres de l'autre côté des barreaux.

— Vous ne voyez pas de quoi je parle ? Ou vous jouez à l'insensible, peut-être.
— Je vous ai déjà dit que je ne jouais pas, White. Et je sais que...
— Mais non, vous ne savez rien ! hurla Ethan White en se jetant brutalement contre les barreaux d'acier.

Il s'accrocha nerveusement à sa propre prison, ses doigts sales griffaient l'acier qu'il ne parvenait pas à écorcher, soufflant comme un enragé. Il respirait bruyamment, presque avec difficulté. Imperturbable, l'agent Hoyt n'avait même pas sursauté face à ce brusque éclat. Sans le quitter des yeux, il sortit lentement un paquet de cigarettes du revers de sa veste.

— C'est... interdit de fumer... exhala le prisonnier.

Le jeune inspecteur sortit son briquet et alluma une cigarette pour toute réponse. Il prit soin d'inspirer longuement sur la première bouffée, inhalant la fumée d'abord, la libérant ensuite dans l'air vicié de la salle de détention.

Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant