34- Présentations

1.5K 189 23
                                    

La journée du lendemain fut longue. Pour commencer, Liam et moi nous étions disputés la veille. Après le charmant dîner imposé par ma mère en compagnie de l'agent Hoyt, j'avais attendu que ce dernier quitte la maison, allant même jusqu'à vérifier que sa voiture quitte bien notre allée depuis la fenêtre de ma chambre avant d'appeler Liam. En premier lieu, celui-ci m'avait de suite mis les choses au clair : la police ne nous soupçonnait pas d'avoir un lien quelconque avec le meurtre de Meori. Contrairement à ce qu'il avait craint à l'origine, Liam n'avait pas été convoqué pour cette raison. C'était la disparition de Dylan Presley, absent depuis plusieurs jours, qui inquiétait les policiers. Quand ils avaient appris que Liam travaillait avec Dylan au Sundry, ils s'étaient naturellement intéressés à lui pour vérifier s'il disposait d'informations déterminantes. Mais Liam n'avait pas été en mesure de leur fournir le moindre élément susceptible de les éclairer sur la disparition de Dylan. Ce que j'en avais retenu pour ma part, c'est que ni lui ni moi n'étions suspectés d'avoir le moindre rapport avec l'affaire de la rivière. Pour le moment.

Le sujet avait ensuite dérivé sur Kila. Déjà irrité par ce qu'il avait pris pour un manque d'empathie envers Dylan lorsque j'avais exprimé mon soulagement au téléphone, Liam n'avait pas bien pris le fait que la kanash ne veuille pas de sa présence. Hormis le mensonge, je n'avais pas eu d'autres solutions que de dire la vérité afin de lui expliquer pourquoi il ne pouvait pas m'accompagner dans la forêt après les cours. Énervé, il avait fini par me dire que «puisqu'il n'était pas du clan, il n'y avait aucune raison pour qu'il continue à m'aider» avant de me raccrocher au nez. De manière toute aussi puérile, je lui avais envoyé un sms dans lequel figurait un simple doigt levé. Sa réaction n'avait fait que renforcer la mienne : farouchement enroulée dans ma couette, je m'étais félicitée de ne pas lui avoir tout raconté. En effet, j'avais sciemment omis certains passages de ma rencontre avec la kanash, ne concentrant l'essentiel de mon récit que sur le lion des montagnes et la manifestation de la marque de Kila. Je n'avais fait aucune mention du phénomène étrange qui s'était produit au travers de l'écorce.

À cette pensée, un nœud se forma au creux de mon estomac et je luttai pour diriger mes pensées ailleurs. Assise au fond de la classe, près du radiateur, à défaut d'une fenêtre donnant sur le sous-bois, j'écoutais d'une oreille distraite le cours de littérature dispensé par «la vieille Garnett». Comme bon nombre de mes camarades, anciens comme nouveaux, j'avais déjà suivi les cours de littérature et d'histoire de la vieille femme durant le collège. En effet, elle dispensait ses cours au collège tout comme au lycée. Tous les habitants de Havenly avaient eu le loisir de passer par ses longues leçons dispensées sur, je l'imaginais sans peine, le ton monocorde qu'elle avait actuellement.

De loin, j'apercevais le dos rond de Liam qui recopiait studieusement l'énoncé de l'exercice qui figurait au tableau. Nous ne nous étions quasiment pas adressés la parole de toute la journée. Pour ma part, je n'en avais rien à faire. J'étais moi aussi remontée contre lui pour sa colère que je jugeais injustifiée, et je comptais bien le lui faire ressentir jusqu'au bout. Mais lorsque la sonnerie avait annoncé la fin des cours, et qu'il s'était tourné vers moi d'un air penaud... Impossible d'en vouloir à quelqu'un foncièrement incapable de toute forme de méchanceté. Nous quittâmes la salle de classe ensemble. Je sus que la trève était définitive lorsque Liam me passa ses notes de cours afin que je les recopie pour la semaine prochaine. Alors que nous marchions vers le parking, je lui racontai plus en détails – et de façon plus apaisée – le dîner de la veille. À la fin, je ne démordais toujours pas de mon impression première à propos de l'agent Hoyt :

— Je te jure qu'il est louche. Et vraiment con, j'insiste. À chercher la petite bête sans arrêt, je n'en pouvais plus !
— Comme tous les flics, Eden. Pour la petite bête, hein ! Mais bon...
— Mais quoi ? fis-je avec un regard faussement courroucé.
— Tu as l'habitude avec ta mère, non ? Disons qu'elle a la surveillance facile, avança prudemment Liam.

Surveillance ? Le mot était faible ! Nous éclatâmes de rire,  à tel point que deux enseignants en pleine discussion nous firent les gros yeux, ce qui eut pour effet d'accentuer notre hilarité. Nous nous éloignâmes précipitamment, les yeux humides à force de rire. Et tandis que je m'esclaffais, soulagée de ce moment de détente, je surpris dans l'air un parfum que je pouvais reconnaître n'importe où désormais : l'effluve musquée du loup.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Liam en s'essuyant les yeux du revers de sa veste.

Je tournai immédiatement la tête vers la fille qui attendait non loin de l'abribus. Vêtue d'un blouson de cuir noir, d'un t-shirt de même couleur et d'un jean clair, Kila me fixait de loin. Les mains dans les poches de son blouson, Kila croisa les jambes. J'entendis les gravillons crisser sous ses bottines de cuir. Qu'il était étrange de la voir vêtue ainsi...

— Eden ? fit Liam tandis que je me dirigeais vers la kanash.

Il me suivit néanmoins, et lorsque nous arrivâmes à hauteur de Kila, celle-ci me demanda simplement :

— On y va ?

Liam me fixa, perplexe. Kila ne lui avait accordé aucune attention. Il nous jeta plusieurs coups d'œil alternatifs, puis réalisa subitement de qui il s'agissait. Avec son naturel habituel, il s'avança, main tendue :

— Tu es Kila, hein ? Salut, moi c'est Liam !

Je sentis plus que je ne vis la mâchoire de Kila se contracter et me plaçai instinctivement entre eux.

— Kila, c'est l'ami dont je t'avais parlé. Celui qui...
— Celui qui va vous accompagner dans la forêt ! compléta jovialement Liam.

Je me mordis la lèvre. J'étais à nouveau dans une impasse. Kila m'avait spécifiquement indiqué qu'elle ne voulait personne d'autre avec nous dans la forêt ; mais je venais tout juste de me réconcilier avec Liam,  je tenais à ce que les choses restent ainsi. Je n'allais pas pouvoir l'accompagner, il n'était pas question d'abandonner Liam. J'avais pourtant désespérément besoin de l'aide de Kila. Que faire ? Je cherchais une solution tout en sachant pertinemment qu'il n'en existait aucune quand Kila dit simplement :

— Qu'il vienne, alors. Mais je t'aurais prévenue.

 Mais je t'aurais prévenue

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou télécharger une autre image.
Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant