49- Entrelacées

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— Ils ne doivent pas savoir, reprit Kila d'un ton où perçait presque l'angoisse. Personne ne doit jamais voir ta kahr, tu m'entends ?
— Tu te trompes, répondis-je sans l'écouter. Comment peux-tu connaître les signes de la langue morte puisqu'elle s'est éteinte ? Non, tu te trompes.

Je ne pouvais pas l'accepter. Je ne le voulais pas. Kila baissa les épaules et n'ajouta plus rien. Dans ses yeux, il était clair qu'elle ne partageait pas mon avis. Mais la kanash prétendit le contraire dans le simple but de me rassurer.

— Je l'espère, esh-kirith... On trouvera une solution dans tous les cas, conclut-elle en m'enlaçant.

Je restai dans ses bras durant quelques instants, profitant de la douceur du moment. Nous en avions tant besoin... Mais le cas de conscience qui me déchirait m'empêchait d'apprécier ce moment de tendresse à sa juste valeur. Je devais lui dire toute la vérité. À contrecœur,  je me détachai d'elle et lui révélai que j'avais un second message à lui transmettre.

— Je t'aime pour l'éternité, petit loup... répétai-je le cœur lourd.

J'avais sciemment employé la langue locale, comme si l'absence de mots kanashs pouvait atténuer la douleur qui en résulterait. Ce ne fut pas le cas : chaque mot restitué s'était imprimé comme une vilaine blessure dans mon âme.

— Elle t'a demandé de me dire ça ? demanda Kila d'une voix brisée.

J'acquiesçai en silence. J'eus la décence de ne pas émettre le moindre commentaire sur le petit nom que Meori lui donnait : ce n'était pas mon intimité mais la leur.

— Oh, Meori... murmura Kila dans un souffle poignant.

Je détournai le visage pour dissimuler les larmes qui menaçaient de couler sur mon visage étreint par la douleur : je savais que je n'aurais pas la force d'en retenir n'en serait-ce qu'une.

— Je suis désolée... reprit Kila au bout d'un interminable silence. Tu n'étais pas obligée de me le dire.
— Apparemment si.

Kila m'adressa un regard douloureux. J'avais répondu plus sèchement que je ne l'avais voulu, mais je n'avais pas pu m'en empêcher. Je tentai maladroitement de me rattraper.

— Excuse-moi. Je suis un peu... cette situation me...
— Tu souffres, constata tristement Kila. Tu souffres à cause de moi et j'en suis désolée.
— Non, Kila. Je devrais être plus compréhensive que ça, j'ai juste...

La kanash m'avait fait taire d'un simple baiser. Je l'accueillis les joues humides, puis me nichai au creux de sa poitrine. Elle se mit à me caresser les cheveux. La douceur de ce contact me rappela les rêves étranges que j'avais eus dernièrement.

— J'ai rêvé de nous, tu sais... déclarai-je à brûle-pourpoint.

J'avais murmuré tout bas, le front appuyé contre sa poitrine, tant pour changer de sujet que pour me rassurer. Derrière sa peau pâle, son cœur battait fortement. Il tonnait comme la plus douce des mélodies contre mon oreille. Mais pour résonner au mieux, il fallait que les notes s'accordent au préalable. Je me redressai à regret, et plantai mon regard dans le sien.

— Mais tu le sais déjà, n'est-ce pas ?

Kila cilla brièvement. Elle leva une main vers mon visage avant de se raviser. La kanash s'installa à côté de moi. En temps normal, la vue de bottines posées ainsi sur mes couvertures m'aurait fait bondir, mais je m'en moquais à l'heure actuelle. Ce que je voulais, c'était des réponses.

Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant