54- La rumeur

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Le mois de septembre passa aussi vite qu'il était venu. Ma routine s'était bien installée, entre les cours que je suivais au lycée et ceux d'une toute autre nature que je recevais de Kila. Je m'y rendais presque tous les jours, et je m'habituais de plus en plus à la forêt. Kila m'apprenait toutes sortes de choses. Elle m'apprit ainsi que contrairement à ce que je m'étais imaginé, les kivaris ne prenaient pas l'apparence de leurs svarais, que les légendes kanashs parlaient bien de kivaris ayant réussi à adopter leur forme animale complète par le passé, mais que ce savoir s'était perdu depuis bien longtemps. Mais ce qui me marqua le plus fut cette nuit passée dans la forêt où, après une partie de chasse particulièrement mouvementée, une pluie de cendres dorées s'était abattue sur nous. En observant de plus près, j'avais pu voir qu'elles provenaient de minuscules papillons qui volaient librement.

— Quelqu'un essaie d'entrer dans la forêt, avait simplement déclaré Kila.

Voyant que je ne comprenais pas le rapport,la kanash m'avait expliqué que la forêt déployait les orotsas, littéralement les «papillons d'or», pour repousser les étrangers. Les cendres qu'ils dégageaient en volant provoquaient une vive allergie urticante pour les malheureuses victimes. Un moyen naturel mais efficace de se prémunir des invasions selon la kanash. Elle m'avait retenue lorsque, effarée, j'avais tenté de me dérober aux cendres dorées qui pleuvaient au-dessus de nos têtes : les kivaris n'étaient pas touchés par le phénomène. J'avais alors observé la fine pellicule dorée se déposer sur ma peau ainsi que sur celle de Kila. Celle-ci avait soufflé dessus, créant des volutes d'or tout autour de nous.

Le sourire aux lèvres, j'avais vu la beauté nocturne de la forêt pour la première fois. Le zhan était partout, dans la terre sous mes pieds nus, dans les sommets boisés, et même dans la poussière d'or. Magique. C'était une soirée que mon esprit n'oublierait jamais. Mais si je me délectais des précieux moments passés dans la forêt en compagnie de Kila, je rayonnais en revanche beaucoup moins au lycée. Mes notes, pas hautes pour commencer, baissèrent progressivement. J'obtins ainsi un triste C- au premier contrôle de mathématiques qui n'arrangea en rien l'aversion réciproque de Dabson à mon égard.

Du côté de l'enquête, Liam avait tenté d'en savoir plus auprès de Dylan. Il lui avait été difficile d'obtenir une visite auprès de ses parents, mais à force d'insister, il avait fini par gagner gain de cause. Dylan avait été récalcitrant au début, et la persistance de Liam aida grandement. Au bout d'un moment, l'adolescent avait finalement avoué qu'il n'avait jamais vu Sam Walker le jour de son agression. Mais quand Liam l'avait interrogé sur la raison de son mensonge, le pauvre garçon s'était crispé de plus en plus, au point de se balancer en secouant la tête de droite à gauche. Tout ce que Liam avait pu obtenir de lui, c'était une voix. Une voix à glacer le sang avait résonné dans sa tête ce jour-là. Elle lui avait ordonné de se laisser faire et lui avait répété le nom de Sam Walker à trois reprises.

Quand les parents de Dylan étaient entrés,  leur fils était en larmes. Ils avaient prié Liam de ne plus remettre les pieds dans sa chambre : il l'agitait beaucoup trop. Une voix. Et rien d'autre. Nous avions donc convenu de prouver l'innocence de Sam, toujours retenu au commissariat central. Car, craignant d'être pris pour un fou, Dylan refusait de parler. Tout ce qu'il souhaitait, c'était retrouver une vie normale. Je ne le comprenais que trop bien, mais il était impensable de laisser Sam croupir pour un crime qu'il n'avait pas commis. Pour moi, les révélations de Dylan signifiaient surtout que l'assassin de Meori courait toujours.

— Putain... maugréa Liam en plein cours de sport. La date butoir du dossier à rendre approche et on n'a rien. Rien de rien, Eden.

Je grimaçai tout en étirant mon bras derrière le dos. J'avais chassé la veille au soir avec Kila et, au cours d'un moment d'inattention, j'avais chuté d'une branche. J'avais atterri sur un tapis de mousse, mais je m'étais mal réceptionnée et mon coude avait absorbé une bonne partie du choc. Il m'élançait à chaque mouvement du bras.

Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant