40- Sur la voie

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Je restai prudemment à distance, évitant tout mouvement brusque. À l'aide de sa grande patte avant, le lynx gratta l'une de ses oreilles noires et pointues, puis s'éloigna. Il s'arrêta devant un fourré avant de se retourner. Son attitude placide me déconcertait. Il n'y avait rien de belliqueux chez lui. Contrairement au lion des montagnes que j'avais eu la malchance de croiser, le lynx était calme et passif. L'animal pencha la tête, m'observant de ses prunelles luisantes et dorées qui me renvoyaient aux profonds mystères de la vie à chaque fois que j'y plongeais. Le lynx s'accroupit tranquillement près du fourré. Son comportement, anormal pour celui d'un prédateur, me laissait perplexe. Il voulait que je vienne avec lui ?

Suis la voie, esh-kirith.

Si j'avais bien hérité du svarai de Meori, je ne pouvais écarter l'hypothèse que ce lynx m'ait été envoyé. Mais par qui ? La forêt, ou bien Meori ? Incapable de répondre à mes interrogations, je suivis le félin lorsqu'il s'engouffra dans le fourré. Nous continuâmes ainsi durant de longues minutes, suivant le lynx à travers la forêt. Par moments, il se retournait pour s'assurer que je ne le perdais pas de vue. Tout en suivant l'animal, je notai mentalement le chemin afin de préserver mes repères. Nous arrivâmes finalement en vue d'une rangée d'arbustes dont les jeunes branches semblaient parfaites pour le feu. Enfin ! Mais le félin ne s'y arrêta pas. Il continua au petit trot, s'arrêtant auprès d'un parterre de plantes longues et fines dont les tiges se paraient d'un vert extrêmement vif.

J'hésitai longuement. Le shadan m'avait expressément demandé du bois — je tournai la tête vers la rangée d'arbustes — et j'en avais à foison, juste à portée de main. Mais le félin, lui, m'orientait sur une toute autre option. De nouveau, le lynx pencha la tête et m'observa de son regard ambré. Ma décision fut rapide. Je me dirigeai résolument vers les jeunes arbustes. On m'avait demandé du bois, et je comptais bien en ramener. L'homme à la couronne de fougères me mettait mal à l'aise, et je n'avais aucune envie de recevoir un autre coup de bâton mal placé simplement parce que je n'avais pas ramené ce qu'il fallait. Le félin émit un miaulement sourd dans mon dos, qu'il intensifia à mesure que je m'éloignais de lui, à tel point qu'il me fut impossible de l'ignorer plus longtemps.

— D'accord, d'accord ! Tu as gagné ! explosai-je soudainement.

Persuadée de faire le mauvais choix, je fis néanmoins demi-tour pour me diriger vers les longues plantes vertes. Dès que j'arrivai à sa hauteur, le lynx s'enfuit, me laissant seule avec mes questions sans réponses. Peu rassurée, j'entrepris d'arracher les plantes qu'il m'avait indiquées. Et si j'avais tout imaginé ? Et si le félin n'avait jamais cherché à communiquer avec moi ? Tout en déterrant une première plante, je maudis un Liam absent pour ses histoires de guides spirituels. Crétin... pensai-je tout bas. Il m'influençait même lorsqu'il n'était pas là !

La plante dégagea une forte odeur qui me piqua les yeux lorsque je la déraçinai, presque aussi désagréable que celle provoquée par un oignon trop pelé. Je me hâtai de déterrer les autres et quittai le parterre de plantes-oignons. Avec appréhension, je pris le chemin du retour en suivant mes repères. Avais-je pris la bonne décision ? Qu'allait dire le shadan ? Et Kila ? Je compris alors qu'il s'agissait sûrement d'un test, test auquel j'avais probablement déjà échoué sans le savoir. Je réprimai toutefois l'envie violente de revenir sur mes pas pour échanger les pousses de plantes-oignons contre les branches d'arbustes. J'avais fait mon choix, autant m'y tenir jusqu'au bout.

Un petit feu crépitait lorsque j'arrivai en vue du séquoia. Confortablement installés, Kila et le shadan étaient en grande discussion autour du feu. Je restai prudemment à l'écart dans un premier temps, attrapant au vol plusieurs bribes de mots kanashs qui ne me servaient à rien. Le shadan s'interrompit brusquement lorsqu'il me vit approcher les mains pleines de plantes-oignons. Il me fixa longuement, et durant ces quelques instants, je restai stupidement debout près du feu avec mes feuilles odorantes. Puis je vis une ébauche de sourire élargir sa bouche, et d'un geste équivoque de la main, le shadan m'invita finalement auprès du feu. Plus soulagée que je ne l'aurais imaginé, je déposai les plantes-oignons puis m'approchai du feu.

Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant