60- Un être à part

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La force de la déflagration me projeta à l'autre bout de la salle. J'atterris dans un fracas de tables et de chaises renversées. Il se passa plusieurs minutes avant que je ne reprenne mes esprits. Avec difficulté, je tentai de me redresser mais n'y parvins pas.

– Putain de merde... laissai-je échapper en exhalant un râle de souffrance.

Les débris de verre qui s'enfonçaient sous ma peau me faisaient terriblement mal, mais ce n'était rien comparé à la douleur que je ressentais au niveau de l'abdomen. Je sentis la chaleur d'un liquide poisseux m'imprégner la main lorsque je la portai à mon ventre. Je saignais... Ce malade m'avait poignardée ! Je me forçai à ignorer la douleur atroce qui me tordit l'estomac lorsque je me relevai, m'appuyant sur l'une des tables encore intactes de la pièce. L'obscurité était retombée dans la salle, mais grâce à la vision du chat, je n'eus aucun mal à discerner mon environnement. Mes pupilles s'adaptaient automatiquement au peu de lumière que générait la lune et, avec horreur, je vis le professeur dément se relever de son côté.

— Alors là... Je dois dire que je ne m'y attendais pas, souffla-t-il en époussetant ses épaules parsemées de débris de verre.

Sa chemise était à moitié déchirée. Il se passa la main dans les cheveux pour y remettre un peu d'ordre.

— Tu es encore plus immergée que je ne l'imaginais. Dis-moi, quel esprit te manipule ? Il doit être imposant pour dégager une telle force.
— Vous êtes cinglé... répliquai-je en ravalant ma souffrance.

Chaque inspiration me provoquait un éclair de douleur qui me terrassait. Je m'appuyai davantage contre la table et le regrettai aussitôt : il l'avait remarqué. Un sourire mauvais se dessina sur son visage.

— Ça fait mal, n'est-ce pas ? Mais je ne peux pas dire que je compatis.
— Pourquoi vous faites ça ? sifflai-je entre mes dents.

Il eut l'air sincèrement surpris.

— Mais je te l'ai déjà dit ? C'est la guerre, Eden. Et comme pour toute guerre, un seul camp en ressortira vainqueur. La question est de savoir lequel.

Je m'essoufflais. Me maintenir debout en dépit de ma blessure à l'abdomen sapait mes forces. Je pressai davantage ma main contre mon ventre pour comprimer le sang qui s'en écoulait : il fallait éviter l'hémorragie à tout prix.

— C'est faux. Vous avez des siècles de retard, répliquai-je dans un souffle qui m'arracha une grimace de douleur. La guerre est terminée depuis longtemps.

Le rire extravagant qu'il poussa résonna bruyamment dans la pièce aux fenêtres ravagées.

— Terminée ? Ma pauvre, si tu savais à quel point tu es à côté de la plaque !

Il repoussa une chaise qui le gênait d'un simple coup de pied. Elle heurta le mur dans un bruit sec. Mains dans les poches, l'homme à la chemise déchirée avança vers moi.

— Non, non... dit-il en claquant de la langue. C'est loin d'être terminé. Au contraire, ça ne fait que commencer. Et je vais commencer par toi.

Ma vision commençait à se brouiller, je m'affaissai légèrement contre la table. Combien de temps allais-je pouvoir tenir ainsi ? Je n'avais aucun moyen d'appeler à l'aide et je ne pouvais pas m'enfuir dans cet état : il me rattraperait en moins d'une seconde. C'était la fin. Ethan White n'était plus qu'à quelques pas de moi. Il se rapprochait toujours, inéluctablement. J'avais besoin d'aide et seul le svarai inconstant, à mon grand désarroi, était en mesure de me l'apporter. Je plongeai la main dans ma poche pour en tirer l'amulette. L'homme à la chemise déchirée s'arrêta aussitôt.

— Ah... C'était bien toi qui l'avais depuis tout ce temps. C'est comme ça que tu communiques avec les esprits. Tu te sers du kami de Meori, évidemment.

Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant