29- Embrasée

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Je retins le soupir d'inconfort qui montait dans ma gorge. Nous remontions la pente du sentier. En silence, je me concentrais sur le fait de mettre un pied devant l'autre. Et l'effort me coûtait, le liquide poisseux rendant chaque pas plus désagréable que le précédent. Je commençais également à sentir davantage le froid à cause de mon jean désormais humide. Mortifiée par ce que je vivais comme une véritable humiliation, je tâchai d'en oublier les conséquences pour mon égo en maintenant la conversation sur ce qui m'intéressait réellement.

— Alors c'est comme ça que tu appelles l'esprit animal. Un svarai... dis-je en m'efforçant de prononcer le terme aussi bien qu'elle le faisait.
— Tous les kanashs l'appellent comme ça, confirma Kila.

— Et... èche-qui-rite ?
— Esh-kirith, corrigea la kanash en réprimant un sourire moqueur.
— Tu m'appelles tout le temps comme ça. Qu'est-ce que ça veut dire ? demandai-je en la regardant du coin de l'œil.

La jeune kanash ne masqua plus son sourire narquois. D'un geste vif, et sans égard pour mon égo déjà meurtri, elle me rattrapa lorsque je trébuchai sur une pierre recouverte de mousse.

— Tu cherches mal, expliqua Kila. La langue kanash ne se traduit pas comme ça. C'est comme vouloir attraper de la fumée avec tes doigts : tu ne pourras pas, parce que tu ne comprends pas sa substance.

Je laissai les mots de la jeune kanash m'imprégner. Je compris ce qui se cachait derrière ses propos : je devais l'accompagner dans la forêt et partir à la rencontre des kanashs pour mieux comprendre ce qui m'arrivait.

— Mais si je devais trouver quelque chose qui s'en approche dans la langue locale... réfléchit Kila. Ce serait... l'étrangère au clan.

Je hochai lentement de la tête. Étrangère au clan... l'expression m'allait parfaitement tant elle décrivait la vérité : je me sentais totalement étrangère à cette réalité que je découvrais avec Kila. Je frissonnai lorsque la brise glacée du vent me rappela à quel point je m'étais ridiculisée dans la clairière. Je secouai la tête comme pour chasser mes mauvaises pensées.

— Et tu as dit que je devais me battre comme une...
— Kivari, compléta la kanash.

Kila fronça les sourcils, puis replaça une mèche brune rebelle derrière son oreille. C'était un geste — je l'apprendrais assez vite — qu'elle effectuait lorsqu'elle baissait sa garde.

Plus tard, j'apprendrais qu'il pouvait également être signe d'inconfort chez elle. La jeune kanash réfléchit quelques instants, puis déclara :

— Un gardien des forêts, s'il existe un équivalent dans la langue locale. C'est le svarai qui choisit son kivari. Et après, il vit en harmonie avec lui.

Pour la première fois depuis notre rencontre, Kila acceptait de me répondre ouvertement. En manœuvrant suffisamment bien, je parviendrais à amener la conversation sur le sujet de l'amulette. Mais il fallait progresser par étapes. Je lui jetai un regard en coin.

— Ton svarai... c'est celui du loup, n'est-ce pas ?

La jeune kanash acquiesça silencieusement. Je me frottai inconsciemment les épaules pour me réchauffer.

— Et le kivari peut hériter des traits de son svarai aussi ? Comme par exemple... l'odorat, ou la vue ?

Je pensais notamment à ma faculté nouvelle de percevoir l'environnement ; je ne pouvais plus ignorer les changements qui m'affectaient, encore moins lorsque ceux-ci avaient un lien direct avec l'amulette kanash de Meori.

— Tous les kivaris ne développent pas les traits de leur svarai, ça dépend du degré d'affinité que l'on a. Mais si tu communiques avec lui, tu devrais déjà le savoir ? demanda soudainement Kila en se tournant vers moi.

Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant