23- Un grand honneur

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— Putain de merde....

Liam referma la porte du local derrière lui. C'était dans cette pièce qu'était publié le Sundry, journal de Havenly High. Celui-ci était publié de façon totalement aléatoire, c'est-à-dire qu'il paraissait sans aucune régularité. Le local ressemblait d'ailleurs à un placard à balai plus qu'autre chose : l'espace était si réduit que seule une table, qui faisait office de bureau, tenait dans l'un des angles de la pièce. Non loin, une imprimante qui avait connu des jours meilleurs ne donnait aucun signe de vie. Elle était cependant reliée par un gros câble à un ordinateur d'une autre génération qui trônait sur la table. Sur les murs, différentes coupures de presse étaient placardées ensemble. Quelqu'un avait écrit sur certaines d'entre elles, reliant au feutre indélébile différents articles entre eux. À côté du collage, la grande aiguille d'un cadran recouvert de poussière pointait vers le douze.

— C'est un truc de fou ! reprit Liam dont la voix trahissait l'excitation.

Il s'installa derrière l'ordinateur le temps de l'allumer, mais au vu de son état, il lui faudrait probablement des heures pour arriver ne serait-ce que sur la page d'accueil.

— C'est ce que je voulais te raconter. En plus de ce que tu sais déjà... répondis-je à voix basse.

J'entamai alors mon récit sur ma rencontre avec Kila, puis celui concernant la marque. Bouche bée, Liam siffla longuement lorsque j'eus finis de lui raconter ce qui s'était passé dans la clairière. Il effectua des petits battements sur un tambour imaginaire, à l'aide de ses doigts. C'était une manie qu'il avait, et qui se manifestait lorsqu'il réfléchissait à fond.

— Eden, dit-il finalement. Je crois que j'ai compris ce qui se passe.

Il croisa les bras sur sa poitrine, puis enchaîna :

— Est-ce que tu as déjà entendu parler des guides spirituels ?

À mon expression, il sut que ce n'était pas le cas. Mais je tenais tout de même à répondre :

— Tu veux dire, genre... des mentors ?

Liam secoua la tête d'un air satisfait. Il se leva et commença à faire les cent pas dans le local : «Non, pas des mentors.
— Accouche, Liam.
— Attends, je t'explique ? Hier, je ne suis pas rentré chez moi directement. J'ai fait un petit détour par la mairie.
— Tu es allé voir ton père ?
— Ouais. Et j'ai trouvé ça aux archives.», répondit-il en sortant de son sac un énorme livre en cuir relié.

Je passai la main sur l'épais volume. Du doigt, je déclinai une à une les lettres qui composaient le titre du livre. Elles étaient en relief et paraissaient grisâtres sous la lumière pauvre du local.

Rites et coutumes kanashs... murmurai-je à mi-voix.
— Regarde qui l'a écrit, invita Liam en posant le doigt sur le nom de l'auteur.
— Ethan White, détaillai-je lentement.
— Il est spécialisé dans la culture kanash, expliqua Liam. Je crois qu'il a fait des recherches sur le sujet, pas étonnant qu'il nous file du boulot là-dessus !

Liam s'empara du livre et le feuilleta quelques secondes avant de s'arrêter sur la page qu'il cherchait.

— Regarde ce chapitre. De l'animalisation de l'homme.

Je lus mentalement quelques lignes, sautant les longs passages descriptifs dont je ne comprenais pas la teneur pour parvenir à ceux qui m'intéressaient, huit pages plus loin : «Les kanashs croient en l'existence d'esprits qui se manifestent sous forme animale. Ces esprits serviraient de guides spirituels capables d'influencer leurs vies. Ainsi, selon la croyance kanash, l'homme serait éclairé par une conscience supérieure et accèderait par là-même à un nouveau champ des possibles». J'interrompis ma lecture un instant. Les passages suivants traitaient d'une «critique opposée de la projection de l'idée fantasmatique du procédé d'animalisation». J'arquai le sourcil à la vue de tous ces termes dont la signification m'échappait. Tous, sauf un. Animalisation ? Je fixai Liam qui s'évertuait à mettre l'imprimante en route :

— Il y a un truc qui colle pas, Liam. Je n'ai croisé aucun animal dans la forêt.

Je frissonnai brièvement en repensant à l'inquiétante présence qui m'avait poursuivie dans la forêt le soir où Meori avait perdu la vie. Ah... elle était ici, la clé que je cherchais. Je serrai les dents tout en réalisant peu à peu ce qui avait dû se produire : j'avais mis un esprit en colère lorsque j'étais entrée en territoire kanash... et il s'était vengé en me marquant.

— Mais Kila ? demanda Liam. Tu m'as dit que tu avais vu un loup lorsque vous vous êtes battues.

Je me rappelai du moment fugace où j'avais cru apercevoir un loup blanc durant mon affrontement contre la kanash. Mais je n'étais pas certaine de ce que j'avais vu. J'avais très bien pu être victime de mon imagination. Car sous l'effet de la panique...

— Ça expliquerait ses capacités particulières. Et les tiennes aussi, vu ce que tu as fait ce matin... finit par ajouter Liam.

Je songeai à la manière dont les sons et les odeurs me parvenaient parfois. Était-il possible que Liam ait raison ? Une part animale était-elle en train de naître en moi ? Liam reporta momentanément son attention sur une page de l'écran, effectua quelques clics à l'aide d'une souris qui lui résistait visiblement un peu trop, puis se rapprocha de l'imprimante. Celle-ci s'était mise à ronronner bruyamment.

— Bon bah, va falloir qu'on t'achète une jolie laisse ! lâcha Liam avec humour.

Il dévia le regard noir que je lui lançai, armé de son sourire habituel, et extirpa une feuille de l'imprimante.

— C'est pas drôle ! Tu sais, je crois qu'un putain d'esprit m'a maudite...

M'entendre prononcer mes propres pensées tout haut me fit froid dans le dos et ne rendit mes craintes que plus réelles. Il rangea rapidement la feuille imprimée dans son sac, si vite que je ne parvins pas à en lire le contenu.

— Mais non, t'es pas maudite... répondit Liam en secouant la tête. Les kanashs considèrent qu'être choisi par un esprit est un très grand honneur, le plus grand qui existe parmi leur peuple. Si tu avais lu la page jusqu'au bout, tu l'aurais vu.
— Un honneur ?

Je me défis rapidement de mon sweat-shirt rouge. Le local était si petit et tellement peu aéré qu'une chaleur suffocante s'y était amassée depuis que nous y avions pénétré. Heureusement cependant, car je n'étais vêtue que d'un jean et d'un t-shirt noir à manches courtes que je remontai aussitôt.

— C'est quel genre d'honneur ça, pour toi ? vociférai-je en me tournant à moitié.

Liam resta silencieux. J'entendis les pieds de sa chaise râcler sur le sol, puis celui de ses semelles qui se rapprochaient de moi. Peu après, deux doigts froids m'effleurèrent le bas du dos. Je frissonnai instinctivement tout en me soustrayant à son toucher.

— Désolé ! Ça fait mal ?
— Non, bougonnai-je mal à l'aise. C'est... sensible.

J'attendis en silence que Liam termine son petit examen de ma personne. Au bout de quelques minutes, n'y tenant plus, je demandai :

— Alors ?

La porte du local s'ouvrit brutalement derrière nous.

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Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant