58- Axiome

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Je soufflai longuement sur le petit gobelet en plastique. De la fumée s'éleva lentement dans la pièce. Le chocolat était si brûlant que je ne parvenais pas en avaler une seule goutte. Le professeur White se délesta de sa sacoche en cuir, repoussant le porte stylos en métal aux limites du bureau. C'était la première fois que j'y pénétrais. Il n'y avait pas beaucoup d'espace, mais il avait été bien aménagé : une étagère en bois clair sur laquelle reposaient plusieurs manuels et essais dont la couverture ne me disait rien pour la plupart, un classeur à tiroirs qui se fermait à clé, un palmier en pot situé dans l'angle, près d'une fenêtre dont les stores vénitiens étaient abaissés pour la nuit. Je n'avais pas pu refuser. Lorsqu'il m'avait trouvée hagarde au deuxième étage, le professeur White m'avait instamment priée de le suivre dans son bureau, et je n'avais pas pu refuser. Pas plus que je n'avais pu quitter la pièce lorsqu'il était revenu armé d'un chocolat chaud pour me revigorer. Mes pieds grattaient la moquette beige. Le bureau, tout comme son occupant principal, respirait le calme et la douceur.

— Tu n'assistes pas au match ? s'enquit le professeur White en s'asseyant derrière son bureau. Je suis content de voir que tu vas mieux, en tout cas. Si tu as des soucis, tu sais que tu peux m'en parler.

Il était vêtu d'une chemise blanche aux manches retroussées jusqu'aux coudes. Il portait un simple pantalon noir et des chaussures de cuir marron. Sa barbe brune repoussait, mais elle était bien taillée.

— Je me suis sentie mal dans la foule, mentis-je aussitôt. Je voulais juste aller aux toilettes pour me rafraîchir un peu.
— Jusqu'ici ? demanda-t-il en haussant le sourcil. Pourquoi tu n'utilises pas celles du gymnase ?

Prise de court, je cherchai rapidement une réponde adéquate à fournir. Heureusement, il continua tout seul.

— Mais je dois dire que je te comprends, ça ne doit pas sentir la rose là-dedans !

Je lui rendis son sourire, simulant la connivence. Il dégrafa les boucles de sa sacoche et en sortit plusieurs feuilles noircies d'inscriptions et d'annotations. Je reconnus les dossiers que nous devions lui rendre. J'essayai d'entrevoir le mien – et la note qui allait avec – lorsqu'il les feuilleta, mais sans succès.

— J'ai lu votre dossier avec attention, Eden. Votre analyse était très pertinente, je dois dire que j'ai été agréablement surpris de voir deux lycéens approfondir autant leur réflexion. Sans vouloir te vexer, c'est plutôt inhabituel.

Allait-il vraiment me parler du dossier, là tout de suite ? Ce n'était pas du tout le moment, Liam était quelque part dehors et le tueur de la rivière était à ses trousses ! Je ne pouvais pas rester ici.

— Merci, monsieur White. Je crois que je vais rejoindre mes amis, j'aimerais voir la fin du match ! prétextai-je en me levant.
— Tu ne finis pas ton chocolat ?

Je me sentis gauche et impolie. Gênée, je repris place sur la chaise qu'il m'indiquait. Il m'adressa un sourire chaleureux. Je plongeai dans la contemplation de la boisson chaude : si je la buvais suffisamment vite... C'était un signe silencieux comme un autre. J'entrepris de souffler sur le gobelet afin de rafraîchir la température du chocolat : il était brûlant.

— Vous avez eu une approche singulière tous les deux, continua le professeur. C'est Liam qui l'a choisie, ou c'est toi ?
— C'est moi, admis-je en hochant la tête.
— Je m'en doutais un peu. Je l'ai sentie assez vite chez toi. Ton ambivalence, je veux dire.

Son regard détailla des lignes que je ne pouvais voir.

— Quand tu abordes les origines du conflit, par exemple. Tiens, ce passage est intéressant. Tu parles de la responsabilité des colons, mais aucunement de celle des kanashs.

Kivari #1Where stories live. Discover now