45- Le jardin d'Eden

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Ses lèvres s'étaient crispées à plusieurs reprises, tout comme ses doigts entremêlés de mèches blondes qu'elle serrait compulsivement à chaque fois que j'effleurais ce point sensible. Et j'en avais abusé. Pour le simple plaisir de la voir, haletante sous la lune, les traits tendus par son extase, de l'entendre soupirer à chaque mouvement qu'elle impulsait et que j'accueillais sans jugement. Parce qu'il n'existait aucune honte ici. Aucune faute, aucun manquement, aucun travers. Ici, nous étions dans notre monde à toutes les deux. Et nous étions libres d'y faire tout ce que nous voulions. Et Kila s'était tendue. Brutalement. Je ne l'avais pas anticipé, malgré la tension imminente dans ses reins. Elle s'était arquée, et m'avait maintenue contre sa féminité, encore raide de sa première tiédeur. Un râle sauvage, pour se libérer enfin de son ardeur, et elle s'était effondrée dans mes bras. Là, contre mon oreille, elle avait murmuré tout bas...

«Kana vi, Eden...»

Mais la nature qui brûlait désormais en moi ne voulait pas entendre. Elle ne voulait plus attendre. Je m'étais emparée des lèvres rosées qui chuchotaient encore à mon oreille. Aussi pleines et douces que je les avais rêvées... Une légère résistance, rapidement vaincue par un regain d'ardeur que je sentais naître au creux de ses reins. Elle s'était détachée de mes lèvres, juste pour me dire...

« Namai...»

Et je les avais volées de nouveau, l'empêchant de continuer. Elles m'avaient tant troublée, ces lèvres qui s'attardaient sur ma peau embrasée, ces lèvres qui partaient à la découverte des moindres recoins de mon être comme s'il fallait absolument tout savoir de moi. Elles me prenaient d'assaut et, l'instant d'après, me fuyaient, plus tremblantes encore que les feuilles qui frissonnaient sous l'effet du vent. Et puis, lasses de nous combattre, nous avions cédé. Il avait suffit d'un regard, et d'une seule phrase, que Kila avait laissé échapper.

«... Su' kith raen... raen...»

Alors elle m'avait plaquée contre l'écorce. Le flux de vie avait vibré dans mon dos, sur ma peau enflammée par notre désir violent de nous unir encore une fois. Kila l'avait senti, elle aussi. C'était un sentiment étrange, mais dans ce monde de nature où rien ne nous obligeait à quoi que ce soit, tout coulait de source. Nager contre ce courant plus dévastateur que tout autre ne servirait à rien : il nous emporterait. Que nous le voulions ou non. Et je la voulais, je l'aimais, elle me désirait, elle m'apprenait. Nul besoin de penser. Alors je l'avais prise, entre mes mains vierges de toute cette nature qui nous entourait, et je l'avais laissée venir, autant de fois qu'elle le voulait, dans ce territoire que personne n'avait jamais visité avant elle. Je m'étais perdue dans le firmament étoilé. Ici, là-haut avec Kila, j'avais pris conscience de sommets dont je n'aurais jamais pu soupçonner l'existence. J'étais reine, la nature était mon royaume et notre union était l'unique réponse. Car il n'y avait plus de questions. Plus d'artifice, plus de couches inutiles sous lesquelles se cacher. Juste elle et moi. Nues. Sans défense. Et ce fut à cet instant que tout fut enfin clair, pour elle comme pour moi : nous nous aimions.

~✶~

Je respirai longuement. Loin d'être inquiétant, le silence matinal était apaisant. Dans la pénombre, je distinguais à peine les meubles qui m'entouraient. De toutes façons, je ne les voyais pas. Car mon esprit était toujours là-bas. Dans la forêt. Dans les hauteurs boisées où j'avais...

«Cet amour fait mal, Eden...»

Je me retournai d'un mouvement sec sous ma couette. Lentement, je la remontai jusqu'à mon visage. Comme si ce geste pouvait dissimuler le trouble dans lequel je me trouvais... Je fermai les yeux. Aussitôt, le bleu d'azur me submergea. M'étais-je donc à ce point imprégnée d'elle ? Au point de ne même plus pouvoir m'y soustraire la nuit venue ?  Si la kanash parvenait même à hanter mes rêves, où donc pouvais-je trouver refuge ? Je me pelotonnai sous l'épaisse couette d'hiver à carreaux. Il fallait que je me calme. Il fallait que je songe à autre chose, à quelqu'un d'autre. Après tout, il ne s'agissait pas de mon premier rêve érotique. Il était tout à fait normal pour une jeune fille de seize ans d'en avoir. Mais tout m'avait semblé si réel... Je serrai les cuisses. C'était autre chose... Ce devait être à cause de l'eirsha. J'inspirai lentement, blottie contre mon oreiller.

Oui, c'était probablement l'eirsha. Je devais sûrement ressentir les effets de la poudre de kriti. Combien de temps devait durer ce truc ? Je m'interdis aussitôt tout questionnement supplémentaire. Il fallait que je cesse de penser à Kila de cette façon. Je parvins à maintenir la kanash à l'écart de mes pensées durant cinq bonnes secondes au bout desquelles un soupir incontrôlé réveilla mes envies enfouies.

«Mais...»

Mon esprit refusait de m'obéir. Mes pensées erraient toutes seules, hasardeuses, étrangement conscientes de leur destination toutefois. Inlassablement, j'en revenais à elle. Je revoyais tout, je ressentais tout de manière si intense que le rêve me parut plus réel que n'importe quel autre. Et je l'avais tissé de façon très explicite. Kila m'avait dit exactement ce que je souhaitais entendre. Rien de plus. La simple confirmation que je n'étais pas seule dans ce flot d'émotions qui m'entraînaient toujours plus profondément.

«Je n'arrive plus à résister... je n'y arrive plus...»

Je serrai les pans du drap qui me recouvrait. J'étais à l'abri, ici. Personne ne viendrait m'y débusquer. Le jour ne s'était pas encore levé, j'avais encore du temps devant moi. Du temps pour penser, me retrouver, me reprendre. Me recentrer. Du temps pour rêver. Le cœur battant, je gardai les paupières closes. Si je priais suffisamment fort, je parviendrais sûrement à retourner dans ce jardin secret où mes désirs  les plus profonds ne pouvaient être dévoilés à personne d'autre qu'elle. Je retournerais là où mon cœur était resté.

 Je retournerais là où mon cœur était resté

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Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant