— Réponds-moi au lieu de m'attaquer sans raison ! explosai-je, furieuse.

Pour toute réponse, la kanash me jeta un regard noir. Elle se tassa sur elle-même, prête à bondir de nouveau.

— Sans raison, tu dis ? siffla-t-elle d'un air menaçant. Alors que tu l'as tuée ?

Elle avait jeté ces derniers mots avec une colère dévastatrice avant de me sauter dessus. Et je compris enfin : elle me tenait pour responsable de la mort de Meori ! Tout en évitant les coups violents qu'elle me porta, je tentai de me défendre aussi bien physiquement que mentalement :

— Tu te trompes, je n'ai pas tué Meori ! Écoute-moi !

Mais la jeune kanash était déchaînée. Sa fureur avait redoublé d'intensité à l'évocation de Meori, je regrettai aussitôt d'avoir prononcé son nom.

— Je n'ai pas tué Meori ! criai-je en évitant à grand peine une série de coups de poing.
— Tu as son odeur ! cracha-t-elle entre deux attaques. Et ça... c'est un trophée pour toi ?

Elle fixait la bosse dans la poche de mon jean. L'amulette... Comment pouvait-elle le savoir ? Et... son odeur ? Était-elle réellement en train de me dire qu'elle était capable de la percevoir sur moi ? Déboussolée par mes réflexions, je relâchai momentanément mon attention. C'était exactement l'opportunité qu'elle attendait. J'eus à peine le temps de parer le coup de pied qu'elle me lança, car la force du coup me déstabilisa tout de même. Je glissai sur la terre molle, puis reçus un violent coup de poing dans la mâchoire qui m'étourdit l'espace d'une seconde. La kanash profita de ce répit pour foncer sur moi avec un hurlement meurtrier. Son visage n'exprimait rien d'autre qu'une haine féroce que rien ne saurait jamais apaiser. Rien, tant que je resterais en vie. Et tout fut clair dans mon esprit : elle était venue jusqu'ici pour me tuer. Et elle y parviendrait si je ne réagissais pas tout de suite. J'allais mourir.

À cette pensée, un flot d'émotions intenses me submergea de l'intérieur, et je perdis toute notion de la réalité. Comme une seconde peau , le voile rouge de la fureur m'enveloppa. J'ignorais si la douleur, la colère, ou un mélange des deux en était l'origine, mais je perdis momentanément la maîtrise de mon corps. Et de mon esprit. Je sentis peu à peu ma conscience d'être humain s'étioler, comme un fil déroulé au gré du vent : il n'existait plus aucune contrainte, aucune difficulté, aucune barrière. La satisfaction de mes besoins immédiats. Telle était mon unique préoccupation. Et là, tout de suite, je devais me défendre.

Je relevai brusquement la tête. Incapable de contrôler mes propres mouvements, un râle inhumain s'échappa de ma gorge. La kanash s'arrêta net. Elle me dévisageait clairement, reculant au fur et à mesure que j'avançais. À quatre pattes dans l'herbe fraîche, je sifflais comme un animal enragé.  Elle grogna à son tour, mais cette fois-ci, je feulai en retour pour l'enjoindre à reculer. Elle ne bougea pas. Nous étions deux à nous battre pour ce territoire ? Très bien. Et ma distortion sensorielle s'amplifia : j'étais le maître des lieux. Le prédateur arrivé le premier sur cette terre, c'était moi. La femme-loup n'était qu'un intrus, et je l'en chasserais, par n'importe quel moyen. Je retroussai les babines et m'hérissai davantage lorsque son odeur m'effleura le museau.

Odeur de chien.

Je secouai la tête. L'autre était encore dans mon esprit. Deux êtres dans un même esprit, ce n'était pas naturel du tout. Il faudrait l'en chasser lui aussi ! Mon territoire, mon esprit.

Ah, penses-tu ?

Je feulai de plus belle pour que l'autre se taise. Il rit, mais je me détournai de lui : la femme-loup était à moi, et à personne d'autre.

— La kivari n'est pas l'ennemie de la kivari.

Je dressai les oreilles. La femme-loup levait les pattes avant, elle ne grondait plus. Je sortis mes griffes mentales : tant pis pour elle, elle mourrait sans se défendre. Elle secoua ses pattes.

— Esh-kirith ! La kivari n'est pas l'ennemie de la kivari. Naleh ?

Je m'élançai vers elle au galop. Je sentais la puissance qui me portait, le flot d'énergie se répandait à présent dans tout mon corps, des pattes avant jusqu'à la queue. J'ouvris la gueule, dévoilant une rangée de crocs acérés qui se refermeraient bientôt sur la gorge de l'intruse.

— Naleh !

Je m'arrêtai brusquement, paralysée par une pression mentale que je ne pouvais combattre. Je perdis toute force et m'effondrai brutalement sur le sol. Je voulus parler mais n'y parvins pas. Mes membres tremblaient, je me contorsionnais comme un poisson hors de l'eau dans l'herbe, incapable de me relever. La kanash se tenait juste à côté de moi. Au-dessus de ma tête, elle dessinait d'étranges cercles dans l'air à l'aide de ses doigts. Un petit anneau en bois brillait sur l'un d'entre eux, éclairé par un halo de lumière azurée. Elle s'agenouilla dans l'herbe, et sa main se rapprocha de mon visage. Je me mis à transpirer abondamment. Une aura insupportable se dégageait de son anneau, c'était une sensation de froid intense, si extrême qu'il me coupait presque la respiration. Peu à peu, je sentis le flot de puissance se dissiper dans mes veines. Mes griffes tout comme mes crocs se rétractèrent, et ma vision se troubla. Le voile rouge s'évapora bientôt, au profit de l'aura azurée qui m'enveloppait de son froid manteau.

— Naleh...

À travers les contours flous de ma vision, j'aperçus le visage de la jeune kanash qui se penchait au-dessus de moi. Derrière elle, j'entrevoyais la cîme des arbres qui nous recouvraient. Quelle heure était-il ? Ma mère allait s'inquiéter... Étais-je seulement en vie ? Allait-elle me laisser partir ? Avec difficulté, je reportai mon attention sur le visage grave de la kanash. Il avait perdu de sa dureté. Dans les yeux d'azur, je ne distinguai que tristesse et mélancolie. Le paysage automnal perdit peu à peu consistance, tournoyant comme une spirale de couleurs vives autour de moi tandis que je glissais vers l'inconscience.

— Naleh, Meori...

— Naleh, Meori

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Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant