Chapitre 32.

82 9 3
                                    


Dans la pièce, l'odeur forte de la peinture me picote le nez. Je le fronce, de temps en temps, comme le ferait une petite enfant qui cherche à jouer de sa candeur pour attendrir les adultes.

Néanmoins, et malheureusement pour moi, ce ne sont que les fragrances désagréablement chimiques se dégageant de mes rouleaux qui me forcent à grimacer.

De l'autre côté de la pièce, Alo s'attaque à une autre paroi, l'air légèrement distrait. Aujourd'hui, nous terminons de remettre à neuf les murs de la librairie, ceux que nous repeignons étant les deux derniers.

C'était pourtant avec une faible motivation que je suis arrivée ce soir, après avoir fini mes devoirs. La fatigue m'a envahie bien plus vite que je ne l'aurais prédit, et je n'hésite pas un seul instant à rejeter la faute sur mes terreurs nocturnes, ou encore le fait que je repense sans cesse à ma triste confrontation avec mes parents. Le temps a passé, depuis cette dernière, mais il réside dans le coeur de ma maison une étrange atmosphère. Comme si le foyer d'un orage sur le point d'éclater avait remplacé les suspensions au plafond, je me sens constamment surplombée d'une menace.

Je plonge mon rouleau dans mon pot de peinture pour me changer les idées, et attaque la dernière parcelle vierge de mon mur. J'ai l'air un peu ailleurs, tout comme Alo qui n'est pas très bavard aujourd'hui. Il m'a simplement adressé un ''bonsoir'' en arrivant, d'un ton presque trop monotone pour lui - c'est dire -, avant de se mettre au travail en ma compagnie.

Je me demande si lui aussi est fatigué. Après tout, le visage du garçon est si habituellement empreint d'une expression de lassitude que je ne sais même plus faire la différence entre un Lui fatigué et un Lui en pleine forme. Je n'ose même pas lui demander, de peur de le froisser.

Le temps passe, le silence s'installe, et finalement je l'entends s'agiter derrière moi. En me retournant sous le coup de la curiosité, je le vois réajuster son bonnet sur sa tête, avant de s'éloigner du mur qu'il vient de finir de recouvrir de peinture. Il croise les bras, admire son oeuvre un instant, avant de se tourner en ma direction. Il hoche doucement la tête, avant de s'approcher, rattrapant son rouleau.

« Tu viens me donner un coup de main ?, je demande, l'air presque taquin.

- Evidemment. Tu es trop lente. »

C'est ainsi en à peine une seconde que le brun arrive à ma hauteur, accélérant mon travail. En quelques minutes, voilà que le dernier mur est peint.

Nous nous reculons alors tous les deux, abandonnant nos pots et nos pinceaux, avant de nous recueillir au centre de la pièce. Chacun à notre tour, nous observons cette dernière dans son ensemble ; nous avons enfin terminé.

Néanmoins, je ne ressens rien. Même pas une once de satisfaction, pas la moindre étincelle de soulagement. Comme un étrange creux au fond de ma poitrine, je suis rongée par un manque je ne saurais même pas identifier.

« C'est bizarre, commente Alo, comme s'il ressentait la même chose que moi. On dirait qu'il manque un truc. C'est trop... trop lisse, non ? »

C'est ça ! Trop lisse. Dans l'ancienne version de la librairie, bien plus chaotique et lugubre, il demeurait dans ces murs une âme. Certes, cette dernière était imprégnée de toutes les choses négatives portées par le temps, que ce soit l'obscurité ou encore cette fausse impression de se sentir en sécurité dans sa misère, mais au moins cet endroit avait sa personnalité. Une ambiance, sa propre atmosphère, bien étrangère à celle du monde extérieur.

Les odeurs d'humidité et de poussière ont été remplacées par les effluves désagréables de la peinture encore humide. La couleur boisée des murs est désormais immaculée, trop aseptisée.

BANGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant