Chapitre 7.

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Le week-end est arrivé plus rapidement que prévu.
Les jours qui ont suivi la réunion, je n'ai adressé la parole à personne. Yann et Johanna sont restés dans leur coin, à se chuchoter quelques mots dans l'oreille en jetant de furtifs regards en ma direction pendant les cours, ou à l'heure du déjeuner, où j'avais dû faire l'effort de m'asseoir seule à une table.
Je n'ai plus reparlé à Alo non plus, parce que je n'en voyais pas l'utilité.
Mais aujourd'hui, je ne compte pas parler de mes journées de cours.
Aujourd'hui, je laisse mes cauchemars s'exprimer à ma place.

J'ai l'habitude de me réveiller en sursaut. Ouvrir les yeux sur une vision d'horreur à trois heures du matin est devenue une sorte de routine pour moi, crier à m'en arracher les cordes vocales également. Je m'en veux toujours un peu, d'ailleurs, de réveiller mon petit frère qui ne sait pas pourquoi je hurle au beau milieu de la nuit, et mes parents, qui doivent me crier tout aussi fort dessus pour me ramener à la raison, me rappeler que je suis de retour dans la réalité.
Foutue réalité.
Chaque nuit, c'est le même film qui tourne en boucle. Je revis la scène, encore et encore, mais le scénario est légèrement différent. Car ce n'est pas un homme qui tient l'arme à feu, l'index sur la détente, prêt à tirer sur un adolescent au moindre mouvement.
C'est moi.

Je me vois, debout, le dos contre le tableau, mettant en joue mes camarades. Johanna me prie d'arrêter, Yann s'accroche à sa table le plus fort possible pour repousser sa peur, et le corps de Milly s'étend à mes pieds, son sang tâchant mes chaussures. Et au fond de la salle, il y a Alo, qui me fixe, impassible, un étrange sourire aux lèvres.
Je me réveille toujours au moment où je me tire une balle dans la tête.

Et dans l'état d'esprit dans lequel je me trouvais à ce moment-là, je peux facilement dire que ces rêves où je me voyais mourir étaient de loin les meilleurs. 

Je ne sais toujours pas d'où me viennent ces cauchemars, mais une chose est sûre : j'ai désormais peur de dormir. Parfois, je m'autorise à fermer les yeux quelques minutes, parce que mon corps en a besoin, mais je regrette toujours ce court instant de faiblesse. Parce que, même si mon corps tombe de fatigue, est ramolli et affaibli par la peur, mon esprit est vif, et empreint de la cruauté à laquelle j'ai assisté.
Peut-être que je deviens un monstre, moi aussi, ou que je suis déjà folle.
Encore quelque chose que je ne dirai pas à Mlle Maurrel, avec qui j'ai rendez-vous cet après-midi.

Je redoute toujours ces entretiens. Je parviens toujours à éviter ses questions, je garde souvent le silence toute la séance, mais je la vois continuer d'écrire sur le petit calepin qu'elle garde toujours sur son bureau. Je ne savais pas que mon mutisme pouvait gaspiller autant d'encre.
Mais peu importe.

Et me voilà donc, assise à la table de la cuisine, devant un bol de chocolat chaud. Je suis déjà habillée, coiffée, et pourtant je n'ai jamais eu l'air autant endormie.
Mes paupières sont lourdes, et je suis obligée de poser une main sous mon menton pour empêcher ma tête de finir dans mon bol. A côté de moi, Jimmy rigole, chahute sur sa chaise, et me donne des coups de pieds sous la table. Aujourd'hui, il part à la piscine avec papa.
Moi, je prends un allé simple pour l'Enfer.

« Dis, dis, papa, je peux prendre mon masque et mon tuba ?, demande mon petit frère d'un air enjoué.
- On va à la piscine, Jimmy, pas à la mer. Il n'y a rien à voir !, lui répond mon père, à l'autre bout de la pièce.
- Et alors ? C'est quand même cool d'avoir la tête sous l'eau ! Pas vrai, Vi ? »

Je ne réponds pas, mon regard perdu dans le fond de mon bol.

« Vi ?, insiste mon frère, passant une main devant mon visage. »

Je me réveille enfin, relève les yeux vers lui, et m'efforce de lui adresser un faible sourire.

« Ouais, c'est cool, je réponds d'une voix enraillée. »

BANGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant