Chapitre 36.

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Il ne s'agit plus de courage. Il n'est plus question d'une hardiesse puisée dans une source démesurée de force, de désintérêt, tirée d'un tout petit peu d'orgueil et de sens du devoir. Il n'y a plus aucun lien avec la témérité, la morale, ou simplement cette pensée étrange que les choses, pour rentrer dans l'ordre, doivent être assumées.

Non.

Plutôt, alors que je commence à marcher vers la porte de la librairie, délaissant derrière moi les silhouettes de Cora, Simon et Alo, je sens poindre en moi une toute autre force de motivation. Mon coeur s'écrase un peu plus au fond de ma poitrine à chacun de mes pas, mais mes poings se ferment dans une crispation déterminée ; incontrôlée.

Je vais le faire. Non pas parce que je le dois. Non pas parce que c'est quelque chose de bien, de respectable, ou pour me débarrasser du poids d'une trop grande culpabilité dans mon coeur. Parce qu'en réalisé, à chacun des mètres que je grignote de mes enjambées timides, je sens au contraire ce dernier s'alourdir quelque part dans mon corps.

Ma tête me crie de reculer. Mon âme se déchire sur l'envie irrépressible de courir dans la direction opposée.

Mais je vais le faire.

Parce qu'il en est temps.

Et je crois que c'est pour ça que personne ne me retient, ou me demande où je vais, lorsque je m'éloigne. Je devine à peine la pression du regard d'Alo qui glisse sur mon corps se distançant, mais il ne dira rien.

Parce qu'il comprend. Il me comprend mieux que personne ; et à me voir marcher ainsi, la tête légèrement baissée, mais le regard vif, il sait très bien qu'il ne faut pas m'interroger sur mes prochaines intentions.

Parce que, je l'ai dit, ce n'est pas du courage. Une simple question me suffirait à renoncer, à me faire douter. Un simple « tu es sûre ? » pourrait me déstabiliser et me renvoyer dans mon état léthargique de fuite silencieuse et de lâcheté mal dissimulée.

Je me plonge dans le silence et l'abstraction du monde pour ne pas perdre cette fine lumière qui éclaire une partie de ma raison.

Et j'avance. Puis, une fois dehors, je crois que je me mets à courir. Dans ma tête défilent des milliers de pensées, des centaines d'idées déraisonnées et illogiques, des images troubles et fugitives. Mes oreilles se bouchent des murmures créées par mon esprit un peu décadent, un peu vacillant, mais qui malgré l'immense diversité des informations qui le traversent, se concentre sur une seule chose : où je vais, et pourquoi.

Mon corps connaît le chemin mieux qu'il ne sait respirer. Mes jambes sont plus familières avec les routes que je piétine que mon sang avec les autoroutes de mes veines. Mon regard n'a même plus besoin de se lever du sol pour que s'imprime dans mon imagination le paysage qui défile autour de moi. Je cours, ma vue se trouble légèrement, mais je ne pleure pas ; ni à cause du vent, ni parce que j'ai soudain l'impression de me diriger vers la potence.

Mais je crois qu'en ce même instant de folie, d'insouciance furtive et impulsive, je me moque du sort que l'on me réservera à l'arrivée. Je me fiche de me faire juger, d'être condamnée à la honte et à la dépravation.

Je crois que, non seulement je le mérite, mais ma soudaine envie de clore un chapitre de mon histoire entachée d'encre rouge surpasse de loin ma terreur.

Je n'ai pas peur de mourir.

Simplement de vivre suffisamment longtemps pour encore souffrir.

Puis, après quelques minutes de marche, je m'arrête enfin. Je ralentis, passant au pas, le souffle haletant et sifflant. Mon front est recouvert d'une fine pellicule de sueur, que je chasse du revers de la main, alors que l'autre tire sur le col de mon pull pour y laisser entrer un peu d'air hivernal.

BANGDove le storie prendono vita. Scoprilo ora