Chapitre 9.

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Je ne me souviens pas exactement de ma journée de cours, donc c'est qu'il n'y a rien de bien intéressant à raconter à propos de celle-ci. Je crois simplement avoir mangé dehors, plutôt que seule à la cafétéria, et que j'ai senti le regard de Yann me suivre toute la journée. Mais, comme à chaque fois, il préférait parler à Johanna plutôt que de m'adresser la moindre parole.
Je commence à les trouver ennuyants, tous les deux. Lassants, même.
Leur complicité me donne envie de vomir, et leurs regards fuyards me fatiguent. Je pense qu'ils m'en veulent encore, pour ma soudaine prise de parole lors de la réunion. De la violence dans mes propos. Je sais que la vérité peut heurter leur trop grande sensibilité – je connais bien trop Yann pour lui attribuer cette force qu'il se targue de posséder. A chaque détour de couloir, à chaque petit contact visuel, aussi accidentel soit-il, je sens toute cette culpabilité qui m'entoure, et qui émane des yeux sombres de ce garçon. Je me demande encore aujourd'hui, si seulement il réalise à quel point je me fiche de ses excuses. Je n'en ai pas besoin. Ma condition nouvelle de petite fille franche, bien que mes élans d'honnêteté peuvent s'avérer être aussi fugaces qu'inutiles, je me suis construire une sorte de barrière me protégeant des émotions des autres. Du moins, de certains seulement.
Je suis sensible à joie de mon frère, la douleur de mes parents, et la méprise d'Alo.
Mais la condescendance de Cora, les remords de Yann, et la nervosité de Johanna me passent au-dessus de la tête, comme un petit courant d'air que je m'efforce d'ignorer en me couvrant encore un peu plus du tissu de l'indifférence.

Ce jour-là, je me décide enfin à rendre ses vêtements, lavés et repassés, à Alo. J'aurais bien aimé le faire entre deux heures de cours, mais il n'est pas venu en classe. Je crois bien que c'est la première fois que cela arrive, d'ailleurs.
Remarquer son absence m'avait fait bizarre, parce qu'en général, qu'il soit là ou non, cela ne changeait quasiment rien. Son silence ne témoigne ni de sa présence, ni de son absence, et il n'y a que quelques soupirs las émanant de ses lèvres qui puissent me rappeler de son existence matérielle, à quelques tables à ma droite. Je me souviens alors avoir quelque fois, lancé un regard en la direction de ce garçon dont la discrétion s'apparente peut-être à un état fantomatique.
Alo est souvent perdu dans ses pensées, ailleurs, regardant à travers la fenêtre. Son regard semble chercher quelque chose dans l'immensité du vide, quelque chose d'infiniment petit, qu'il ne peut atteindre de sa main que je devine parfois tremblante – après tout, il ne mange pas beaucoup. Lorsque qu'il semble s'éloigner du reste du monde, c'est à ce moment-là qu'Alo semble le plus calme. Cette mine inquiète, froide, quitte son visage pendant ces quelques secondes, et j'ai parfois l'impression de deviner un calme indescriptible détendre ses traits d'habitude si durs. Ses paupières battent à une mesure lente, ses cils frôlent les particules d'air avec une tendresse toute particulière. En classe, il est forcé d'enlever son bonnet, par respect pour le professeur. Et je perçois alors la danse de ses mèches folles, s'amusant avec la brise s'évadant par la fenêtre.
Avant que tout ceci n'arrive, je me surprenais, oui, à l'observer comme on observe un feu de forêt.
De loin, jamais trop près, de peur de se brûler.

Mais ces derniers temps, je me suis ouverte à la reconnaissance de sa présence, à force de lui parler quelques rares fois. Alors, cette place vide près de la fenêtre m'intrigue.
Alo n'est jamais absent. Je me doute qu'il y ait une raison à cette exception.
Depuis que je l'ai aperçu entrer dans l'immeuble de Mlle Maurrel, je ne peux m'empêcher d'imaginer une centaine de scénarii face à sa condition.
Et si son absence ne se résume finalement pas à une simple maladie ?

Enfin, passons. Je me dis alors que, puisque je n'ai pas pu lui rendre ses vêtements pendant les cours, je pourrais passer à la librairie, le seul autre endroit où je peux le trouver. Et s'il n'y est pas non plus, tant pis, il attendra encore quelques jours.
Même si je ne suis pas certaine qu'il s'attende réellement à ce que je lui rende ses vêtements.

BANGWhere stories live. Discover now