Chapitre 6.

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Il pleut des cordes.
J'ai à peine fait dix mètres que je suis déjà trempées jusqu'aux os, ruisselante, frigorifiée. Mes vêtements me collent au corps, mes cheveux au visage, et je renifle toutes les cinq secondes.
Mais tomber malade ne m'inquiète pas tant que ça. En fait, je m'en moque totalement. Je n'y pense même pas.
Je veux simplement rentrer chez moi.


Je me dirige vers l'arrêt de bus, en bas du boulevard, et je manque de glisser sur une plaque d'égouts. L'air pénètre plus difficilement mes poumons, me les brûle, et je ne sens plus mes doigts.
J'essaye de puiser au plus profond de ma colère pour faire remonter la température de mon corps, mais j'échoue lamentablement. Et lorsque j'arrive enfin à l'arrêt, je constate avec horreur que je viens de rater le dernier bus.

« Merde !, je m'écrie, donnant un coup de pied dans le vide. »

Je prends ma tête entre mes mains, ramène mes cheveux trempés derrière mes oreilles, et je m'assois à même le sol. Au point où j'en suis, je me dis, ça n'a plus d'importance de se salir.
Je me demande aussi pourquoi le sort semble vouloir s'acharner contre moi. Je me lamente, m'apitoie, me plains. Et ne sais même pas si je pleure ou non, puisqu'une rivière s'écoule le long de mes joues et qu'il peut très bien s'agir d'eau de pluie. Je baisse la tête, fais passer mes doigts dans mes cheveux, les emmêle, et j'ai soudain envie d'hurler. Cette pluie me ronge, comme si ce n'était plus de l'eau qui tombait du ciel, mais de l'acide. A moins que ce ne soit toute cette accumulation de sentiments refoulés qui me détruit l'intérieur. Au fond, je n'en sais rien. Je suis une boule de nerfs, une grenade dégoupillée, et je ne sais même plus sur quoi je dois m'acharner, ni pourquoi.
J'ai l'impression de perdre la tête.

« Violet ? »

Je sursaute, me retourne, et cherche des yeux la provenance de cette voix qui vient de prononcer mon nom. Seulement, il n'y a personne. Je ne savais pas que le vent pouvait parler.
J'abandonne.

« Violet ! »

Je relève la tête une nouvelle fois. Je me rends compte que la voix vient alors de devant moi, et non pas de derrière. La pluie me brouille la vue, mais j'aperçois vaguement les contours d'une silhouette, à moitié cachée dans l'encadrement d'une porte condamnée. Il fait sombre derrière elle, mais j'arrive à sentir la chaleur qui s'en émane d'ici.
Je plisse légèrement les yeux, et je retrouve ce bleu avec lequel j'ai fini par me familiariser.
Alo.

« Entre, dépêche-toi !, me crie-t-il. »

J'hésite, regarde une dernière fois autour de moi. Je reste immobile.

« Violet ! »

J'utilise le peu de force qu'il me reste, une grande partie ayant été diluée dans ma colère, et je me lève. Je cours presque jusqu'à lui, manque de trébucher sur le petit escalier qui mène à la porte, pousse presque Alo d'un coup d'épaule, et me voilà à l'intérieur.
Je ne me suis pas trompée. Il fait chaud ici.

Il s'agit d'une librairie. Sombre, poussiéreuse, lugubre. Les fenêtres sont, comme la porte d'entrée, condamnées par des planches en bois. Il y a plus d'une vingtaine de bibliothèques, sûrement des centaines de livres, tous plus vieux les uns que les autres. Pour seul éclairage, une ampoule qui se balance au bout d'un fil accroché au plafond. Au fond de la pièce, je remarque une tente en toile jaune, et au centre, un tas de tapis et de coussins. A gauche, contre un mur, une espère de commode avec une vieille machine à café posée dessus, un micro-onde et un mini frigo. Il me semble que le meuble à droite est une armoire, mais elle n'a pas de poignée.
Le parquet grince sous mes pas, et alors j'aperçois le vieux phonographe qui joue un air que je ne connais que trop bien : Les Beatles, Here comes the sun.

BANGWhere stories live. Discover now