Chapitre 29.

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Il y a des moments où j'ai l'impression que le temps s'arrête. Que l'espace d'une seconde, le sable cesse de s'écrouler au fond du sablier du monde. Que la Terre se stoppe dans sa rotation incessante, lassante, que l'on ne sent même plus. Que toutes les particules d'air se figent dans l'espace, et je ne ressens alors plus la nécessité de respirer.
J'ai longtemps connu ces moments dans des instants de joie, de béatitude, où je ne me préoccupais plus de savoir quand tout allait se terminer, pourvu que ce ne soit pas maintenant. Et à chaque fois que je mets les pieds dans cette librairie, c'est ce que je ressens. Pas parce qu'il n'y a aucune horloge, qu'on ne se rend pas compte de la lumière du jour disparaissant ou non à cause des fenêtres condamnées. Mais parce qu'ici, tout est intemporel, infiniment immortel. Statique, gravé dans le marbre des années s'écoulant avec peine, avec tristesse, ce décor ne semble jamais s'échouer sur la rive de l'avenir.

On aura beau essayer de s'en convaincre, ce n'est pas ici que les choses vivent, ni ne meurent. Dans cet endroit, tout reste en suspens, dans un tourbillon de néant et d'éternel. J'ai passé tellement d'heures ici, je crois. Mais je n'aurais jamais l'impression d'avoir un jour connu ne serait-ce qu'une seule évolution temporelle entre ces quatre murs abimés. J'ai aimé cette sensation, pendant des semaines.
Parce qu'elle m'a empêchée de devoir avoir peur du lendemain.

Et pourtant... et pourtant, aujourd'hui, je crois ressentir chaque seconde qui meurt dans une minute.
Avec Alo contre moi, je redécouvre la relativité du temps. Même si sa présence me donne l'impression que tout s'éternise dans un bonheur furtif, je retrouve à cet instant précis une horloge avec son coeur qui bat à la chamade contre le mien. Chaque tambourinement se calque sur une microseconde, et plus je le sens s'apaiser, plus on se rapproche d'une unité légèrement plus grande.
Un centième de seconde.
Un dixième.
Une seconde entière.

Il ne tremble plus, et j'ai fini par arrêter de pleurer à mon tour. Désormais, il se laisse aller dans une fatigue qui le submerge, qui ronge ses membres. Je le sens se détacher de la moindre tension musculaire, tandis que ses bras abandonnent leur emprise sur mon corps. Ses mains tombent sur mes genoux, et son front glisse jusqu'à ma clavicule. Sa respiration est douce, lente, mais encore parasitée de quelques hoquets.

Puis, plus rien. Le silence. Et le temps qui passe, qui nous fuit tous les deux.
Qui s'envole, lorsqu'il s'écarte de moi.

« Merci, il souffle avec peine.
- Je suis désolée, je réponds presque immédiatement. J'aurais jamais dû dire ça, j'aurais jamais dû te pousser à bout et...
- Je sais, il me coupe. Je sais, Violet. Mais il était temps que quelqu'un le fasse. »

Je me sens incroyablement soulagée. Ses yeux tentent de capter les miens, encore rougis par les pleurs. Les siens sont entourés de la même auréole rougeâtre, et d'un peu de bleu qui témoigne de son manque de sommeil. Ils se plissent à peine lorsqu'il me sourit, et une larme en récidive se détache de l'un de ses cils.
Il la chasse de son pouce, avant de renifler.

Tous les deux à genoux, nous n'échangeons aucun mot avant que je ne me décide à balayer la pièce du regard.
Désormais, mes yeux ont fini par s'habituer à l'obscurité. Mais je commence tout juste à comprendre qu'elle m'étouffe. Pourtant, elle a été mon refuge pendant tellement longtemps, bien avant la tuerie.

Parce qu'il est bien plus simple de ne rien voir, pour ne pas être vu, et que je préférais de loin me perdre dans les ténèbres plutôt que de me confronter à la lumière aveuglante de la réalité.
Je m'y suis pourtant confrontée mainte fois, à travers des éclats luminescents qui m'ont brûlé la rétine.

La tuerie, et les étincelles de l'arme.
Les rayons du soleil pleuvant sur le cercueil de mon amie à travers les vitraux, à l'enterrement.
Et puis, le phare.

Mais il y a toujours eu les ombres pour me ravaler dans le noir, me faire oublier les couleurs pour ne plus avoir peur d'en perdre la notion. J'ai préféré rester dans l'obscurantisme plutôt que de comprendre, et chercher à m'échapper du néant.
Un peu comme Alo, qui reste ici, enfermé dans une librairie sombre et figée dans ses souvenirs comme un projet raté, les vestiges du rêve de sa mère emportée par la maladie.
Un peu comme Lui, qui n'a plus vu la limite entre le Bien et le Mal.

J'ai du nouveau la sensation d'avoir été frappée par un éclair de lucidité. Alo m'a fait comprendre que rester enfermé à l'intérieur de soi-même n'a jamais été une bonne chose, qu'importe la raison.
Alors, rester à l'intérieur d'un endroit aussi vide de vie non plus, j'imagine.
Mais le pire dans tout ça, je crois, c'est que c'est ici que je l'ai vu mourir dans mon rêve.

On s'est familiarisé avec l'obscurité, comme on a amadoué la douleur.
Mais je ne veux plus avoir mal. Je ne veux plus voir les gens souffrir.
Ni mes parents, ni mon frère, ni Yann, ni Johanna. Ni Tom.
Et surtout pas Alo.

Alors, je me lève, aussi lentement que je peux pour ne pas m'écrouler. Mes jambes sont engourdies, un peu endolories à force d'avoir été repliées sous mon poids pendant une dizaine de minutes. Mais assez rapidement, je parviens au niveau de l'une des fenêtres condamnées.
Timidement, j'approche mon index d'une des planches fissurées. Elle est humide, fragile, si friable qu'elle s'effrite au simple contact de mon doigt. D'une main un peu plus assurée, je parviens à en briser une, légèrement.

Le bruit du bois tombant au sol réveille Alo.

« Qu'est-ce que tu fais ?, je l'entends dire derrière moi. »

Je ne réponds rien, et reprends mon affaire avec un peu plus de détermination. De nouveau, mes doigts s'agrippent au bois rongé par l'humidité et le temps, et je l'arrache de la fenêtre. Se crée alors une brèche, de plus en plus grande, qui laisse un fin filet de lumière crépusculaire traverser la pièce.
Lorsque je me retourne vers Alo, que j'ai entendu se lever et s'approcher, je vois son visage baigné de la lueur mourante du jour.
Et je souris.

« J'ouvre les volets, je réponds. »

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HELLO TOUT LE MONDE. 

Oui, alors, je sais. Je chapitre est assez court, raconte pas forcément grand chose, mais est quand même important et OUI JE SAIS IL ARRIVE SUPER TARD PARDON PARDON PARDON. Mais je l'ai déjà dit, les études m'empêchent un peu d'écrire ces derniers temps. Et je sais pas si ça va s'arranger donc... j'imagine qu'il faudra s'habituer à un long laps de temps entre les chapitres. 

J'espère tout de même qu'il vous plaira, et que ce sera le cas pour la suite ! Parce que non, j'compte pas abandonner mon bébé tout de suite. 

A la prochaine pour un nouveau chapitre, mais à je sais pas quand. 

Gros bisous et cookies pour vous !

Beetlejuice juriste.

BANGWhere stories live. Discover now