Chapitre 23.

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Les jours se sont écoulés plus rapidement que je ne l'aurais prévu. Sans que je ne m'en rende compte, j'ai vu les heures s'écouler à une vitesse folle, et ce n'est en réalité que lorsque je regarde mon calendrier accroché sur un des murs de la cuisine que je réalise que la première semaine des vacances, en plus de quelques journées, est déjà derrière moi. Plus que quatre petits jours, et me voilà balancée à nouveau dans la cage aux lions. Il fut un temps, je pense que cette éventualité m'aurait rebutée. Je n'ai jamais vraiment aimé l'atmosphère sinistre des établissements scolaires, après tout, et comme la plupart des étudiants. Mais aujourd'hui, même si je ressens constamment l'impression d'être exposée à un danger qui me dépasse à chaque fois que je traverse un couloir, l'idée de retourner au lycée ne me terrifie pas autant que ça. Je crois que je m'en fiche un peu, peut-être, et je mets ça sur le dos de ma nouvelle indifférence qui s'est déclarée aujourd'hui. 

Je ne suis pas sortie depuis près de trois jours.
Pas depuis ma visite chez Cora.

Plus tard dans la journée, je me souviens que je suis censée retrouver Alo dans la librairie. Je ne sais pas vraiment ce que nous allons y faire, comme à chaque fois que je m'y rends. Je suis simplement persuadée que nous trouverons de quoi nous occuper : un débat sur un sujet d'actualité, une revue de livre, une partie de cartes ou simplement la contemplation du vide et l'écoute du silence. Je ne m'ennuie jamais, c'est le principal, et toutes ces heures que je passe en sa compagnie ne me paraissent pas comme du temps perdu.
Comme si de toute façon, j'avais mieux à faire. Ces quelques sorties sont le seul moyen pour moi d'espérer oublier, me vider l'esprit, et avoir quelqu'un pour me rappeler que je ne suis pas totalement seule dans ce monde que je rejette, et qui ne m'accepte plus. J'y vais alors toujours de presque bonne volonté, mais ma motivation s'est définitivement faite avaler par ma nonchalance incontrôlée.

J'imagine, dans un coin de mon imagination alors que je remonte la rue menant à notre petit QG, à Alo et moi, à quoi peut bien ressembler un monde vide. Je m'imagine moi, dans cet univers mis à néant. Plongée dans le noir, perdue dans l'immensité du vide, et totalement dans l'incapacité d'appeler au secours. Je perçois pourtant le son de ma propre voix, mais ce dernier ne ricoche sur aucun mur. Je crois entendre, peut-être, le sifflement d'une légère brise, ou les bourdonnements de mes propres tympans. Mes battements de cœur s'emballent un peu plus, à chaque fois que je laisse un cri désespéré s'arracher à ma gorge qui me brûle.
Je connais cette sensation. Celle d'hurler à s'en tuer la voix. Presque tous les matins, je la retrouve comme une vieille amie d'infortune.

C'est si difficile, et étrangement douloureux, de se sentir vide. Comme confiné à l'intérieur de sa propre tête, prisonnier de ses pensées, de son subconscient. Délaissé dans tout ce qui fait que nous sommes un être doué de raison, et de jugement. Et on sait que l'on aura beau courir de notre vrai corps, dans un vrai monde extérieur, on ne pourra jamais s'échapper de nous-même. Nous fuir. Il n'y a qu'à se regarder dans un miroir pour s'en rendre compte, ou replonger dans nos rêves : nous ne pouvons pas nous arrêter de réfléchir. Certains parviennent à s'évader de cette cage de fibres morales, mais pas moi.
Je me suis emmêlée avec le fil de mes propres pensées.

Enfin, je redescends sur Terre lorsque ma main rentre en contact avec la poignée de la porte de la librairie. Sans surprise, cette dernière s'ouvre trop facilement, mais mes yeux peinent à s'habituer tout de suite à l'obscurité. Je distingue néanmoins dans l'ombre les silhouettes des flammes dansantes de quelques bougies disposées çà et là sur les tapis, et je songe qu'il s'agit-là d'une idée extrêmement dangereuse. Au centre de ce cercle lumineux se trouve Alo, plongé dans un livre, qui ne m'adresse aucun regard lorsque je m'approche de lui. J'hôte mon écharpe, que je dépose sur une chaise à proximité, avant de venir pénétrer dans cette petite bulle à mon tour. Je m'assois en tailleur face à lui, et je remarque enfin qu'il ne porte pas de bonnet. Mon regard glisse sur ses mains, puis sur la couverture du livre qu'il tient entre ses dernières.

BANGWhere stories live. Discover now