Chapitre 28.

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Il n'y a rien de surprenant à dire que je n'ai pas dormi de la nuit. Après avoir quitté Alo au port, je suis tout naturellement rentrée chez moi le plus rapidement et silencieusement possible, avant d'attendre que mon alarme se mette à sonner. J'étais dans l'incapacité de profiter de mes dernières quelques heures de sommeil avant de devoir retourner à mon quotidien de lycéenne, mon esprit étant bien trop perturbé par tout ce qu'il vient de se passer. Les paroles d'Alo, le chant des vagues, les cris du vent. La peur de rêver une nouvelle fois du suicide de mon ami, et de ne pouvoir l'empêcher.
Lorsque je suis ressortie de ma chambre vers les sept heures du matin, mes parents sont à peine levés, en train de préparer le petit déjeuner. Je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose me dit qu'ils savent que je n'ai pas été là de la soirée. Que ce soit par mes yeux brillant de sommeil, le fait que je sois déjà habillée, ou bien mon air bien trop songeur. D'habitude, il faut au moins une heure à mon esprit pour que ce dernier se remette de mes rêves, et retrouve de sa vivacité. Ce matin, il fuse déjà comme une locomotive, si bien que j'ai du mal à répondre aux salutations de ma famille alors que je me dirige vers la cuisine. Jimmy m'adresse un sourire tandis qu'il s'assoit à côté de moi. Je passe paresseusement ma main dans ses cheveux, comme pour le remercier de m'avoir aidée à me rassurer cette nuit. Attentif à mes signes, il hoche simplement la tête, tout aussi discrètement qu'il le peut.

Personne ne fait la moindre allusion à mon évasion nocturne, et je me prépare déjà à prendre le bus pour retourner sur la route du lycée. Comme à chaque fois, je ne parviens pas à me rappeler ne serait-ce qu'un seconde du trajet, mais peu importe ; je connais sa finalité. Je fais désormais face au portail de mon école, se dressant fièrement devant moi. Je reconnais déjà des visages, comme Tom et Charlotte, les parasites qui se pressent de rentrer, mais aucune trace d'Alo pour l'instant. Je me dirige tout aussi discrètement vers l'entrée, avant de me perdre dans les couloirs déjà encombrés par la marée d'élèves. Dans mon état passif, je crois entendre en écho les bribes de conversations de certains. Lui, est allé à la montagne pendant les vacances, tandis qu'elle, a dû travailler au restaurant de ses parents pour se payer un nouveau téléphone. Il y en a d'autres qui ne font que se complimenter sur leurs nouveaux vêtements, coupe de cheveux, et autres soirées organisées durant ces deux semaines. Je me fais bousculer, de temps en temps, et me contente de baisser un peu plus les yeux.
J'ai l'impression d'être extérieure au mouvement de foule. Comme si je n'existais pas vraiment à cette réalité qui s'amuse des exploits des uns, comme des échecs des autres. Parfois, je me demande si je devrais réellement me considérer comme une fille de seize ans, tant je ne comprends pas un seul instant le mécanisme régissant les esprits fantaisistes de mes camarades.
Ou bien, peut-être que je suis aujourd'hui bien trop fatiguée pour l'ignorer, comme d'habitude.

Je marche, encore et encore, jusqu'à rejoindre la porte de ma salle de classe. Je commence avec un cours de mathématiques, et je sais d'avance que je ne suis pas prête de résoudre un seul système ce matin. Mes yeux vagabondent, se perdent, et mon corps chancelle un peu jusqu'à se reposer contre un des murs du couloir. Face à moi, je vois Yann, qui m'adresse un regard. Puis, un sourire, tandis que ses yeux noirs se baissent jusqu'à sa main. Je suis son mouvement, et me rends compte que cette dernière est mêlée à une autre, beaucoup plus fine, délicate. Mon regard glisse sur chacune des phalanges, remonte jusqu'à un poignet orné de plusieurs bracelets en argent et acier, effleure un bras chétif. Puis, j'observe Johanna, qui est tournée face à une autre fille, riant timidement face aux propos de cette dernière. Elle ne regarde pas Yann, qui me fixe encore, mais refuse de le lâcher ne serait-ce qu'une seconde.
Je crois que je souris. Et lorsque je jette un dernier coup d'œil au garçon, mon esquisse s'élargit. Il répond par un hochement de tête, et j'ose penser qu'il me remercie.

BANGWhere stories live. Discover now