Chapitre 21.

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Je n'ai pas beaucoup dormi. Dans un étrange élan de pur naïveté, j'ai pensé que ces murs qui renferment un univers parallèle aux nôtre pourraient me protéger de mes cauchemars, des souvenirs de cette journée baignée dans le sang de mes camarades innocents. Je me suis finalement retrouvée à tanguer entre le sommeil et l'éveil, tout en étouffant certains de mes halètements dans les couvertures que j'ai resserrées autour de mon corps tremblant d'un mélange de froid et de panique. J'ai passé une bonne partie de la nuit à simplement rester comme ça, allongée dans le noir, les yeux ouverts sur l'obscurité. Finalement, les bras de Morphée m'ont enveloppée trois heures avant que le soleil ne se lève, et je me suis surprise à profiter de ces quelques instants de repos dans le calme, et le néant d'un fragment de nuit sans rêve.
Au moins, je me lève sans avoir envie de vomir.
C'est un progrès en soi.

Lorsque je me réveille, je constate qu'Alo n'est pas là. Après un rapide coup d'œil jeté à mon portable, je me rends également compte qu'il est très tôt, et que les six heures du matin ne sont pas passées. Il fait bien plus doux, ce matin, et c'est donc sans problème que je parviens à me défaire de mes couvertures et à me balader librement entre les rayons. Je m'approche presque instinctivement de la porte d'entrée, lorsque je remarque que sur cette dernière est accrochée un petit mot laissé par Alo :

« Je suis parti pour une heure, tu n'es pas obligée de m'attendre. Si tu veux, il y a de quoi se faire un chocolat chaud dans la cuisine. »

Bien intentionné, Alo a signé, en accompagnant son nom de l'heure à laquelle il a accroché ce message : 5h30.

Son écriture est tremblotante, je remarque. Et je me dis qu'il n'est pas raisonnable de partir tout de suite : à cette heure-là, je doute pouvoir trouver un bus, et je n'ai pas tellement envie de réveiller toute ma famille en passant la porte d'entrée de chez moi. Alors, je me contente de passer le temps en errant entre les grandes étagères, passant mes doigts engourdis par le froid sur les tranches des livres. Dans ma tête repassent en boucle les mots laissés sur la couverture du livre d'Alo. Aujourd'hui, je me demande bien ce que sa mère voulait dire, en parlant d'intelligence, de différence, de sauver ou bien de détruire le monde.

Je songe que je comprendrais bien mieux, si seulement je lisais cette histoire. Peut-être un jour aurai-je le courage de demander à Alo de me le prêter. Avec un peu de chance, peut-être acceptera-t-il.
Je l'espère.

Ma curiosité commence à me ronger. Je décide alors de me distraire en inspectant les bibliothèques, les livres, et je m'amuse à deviner depuis combien de temps certains n'ont pas été bougés de leurs étagères. Je me base simplement sur l'épaisseur de la couche de poussière sur chacune des couvertures, et entourant le livre sur le bois de la rangée sur laquelle il repose. De temps en temps, je me mets en tête de récupérer celui qui me semple être sorti le plus récemment, et je le garde sous le bras. Je m'amuse de ce drôle de stratagème pendant près de vingt minutes, avant d'avoir fait le tour de toute cette petite librairie. Je me félicite d'avoir, pendant ne serait-ce qu'un instant, réussi à faire choisir à mes pensées une voie bien éloignée de celle qu'elles empruntent habituellement, et qui me mènent en général dans les méandres de souvenirs sombres.

Je laisse les livres reposer sur les tapis, avant de venir me faire un chocolat chaud, comme me l'a autorisé Alo. J'en fais volontairement un peu trop, me disant que le garçon apprécierait peut-être en boire un à son retour. En venant m'installer, je constate que la plupart des objets n'ont pas bougés de la veille au soir : les cartes sont à peine déplacées, sûrement à cause des brises s'échappant par les fissures de la porte et des fenêtres. Les coussins utilisés par Alo  sont également toujours en l'état, et je devine encore l'empreinte de sa tête sur l'un d'eux. Les couvertures sont écartées, froissées. Je me demande ce que le garçon peut bien avoir à faire de si bon matin, pendant une heure.

BANGWhere stories live. Discover now