Chapitre 12.

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Je suis dans la salle d'attente de Cora. J'ai passé une très mauvaise nuit, et je me sens terriblement fatiguée aujourd'hui. Il y a du noir sous mes yeux, pour s'assortir à celui autour de mon cœur, et ma tête se balance sur le côté tant j'ai du mal à la tenir droite. 

Ma mère n'a pas voulu me laisser dormir quelques minutes de plus, ou encore m'accorder un jour de repos en me laissant ne pas aller à ce rendez-vous. Mais comme avec mon frère qui la harcèle pour ne pas aller à l'école, elle a refusé fermement. Selon elle, je vais mieux depuis que je vais voir Mlle Maurrel.
Je crois qu'elle a oublié que j'ai plaqué contre un mur un gars de mon lycée avant de lui briser le nez il y a à peine quelques jours.

La secrétaire vient me chercher, et doit appeler deux fois mon nom avant que je ne comprenne que c'est à mon tour. Je me lève difficilement, et la suis jusqu'à l'échafaud.
Oui, l'échafaud. Parce que j'ai vraiment l'impression que cette séance va m'achever.
Dès mon entrée dans la pièce, Mlle Maurrel me gratifie du large sourire qui la caractérise si bien, respirant la bonne volonté et la douceur, et qui me donne toujours autant envie de vomir.
Je m'assois en face d'elle, croise les jambes, planque mes mains sous mes cuisses, et fixe le pot à crayons à droite du bureau. 

« Bonjour, je lance d'une voix endormie.
- Eh bien, tu as mauvaise mine aujourd'hui.
- Il paraît. »

Cora se met légèrement à rire, puis pose ses coudes sur son bureau pour se pencher un peu plus en avant, et donc vers moi. Je la vois du coin de l'œil se mordiller légèrement la lèvre, avant qu'elle ne se remette à parler.

« Tu as vu le reportage d'hier ?, me demande-t-elle.
- Non, je réponds. Je regarde rarement la télé.
- Il parlait de la tuerie. » 

Soudain, je relève la tête vers elle, les sourcils froncés, mais je ne réponds rien. Je sais qu'elle va continuer sur sa lancée.

« Ils ont surtout parlé du tireur. De sa vie, de sa famille. De ses problèmes avec cette dernière, surtout.
- Parce que les gens en ont quelque chose à faire, de ça ? Qu'est-ce qu'il y a de plus à retenir de lui, à part que c'est un malade qui a tué des gosses de sang froid ?
- Je ne sais pas, à toi de me le dire. Peut-être que certains de ses problèmes pourraient expliquer ce comportement, tu ne penses pas ? »

Je ne sais pas si elle le fait exprès, si elle dit des choses pareilles exprès pour susciter une réaction de ma part, ou bien si elle le pense vraiment. Je n'en sais rien, et je ne cherche pas à le savoir. Mes mains se sont crispées, et je les ai retirées de sous mes jambes pour pouvoir croiser les bras. Mes traits aussi, se sont tendus, et je n'ai plus l'air fatiguée du tout.
Tout mon corps tremble de rage, à cet instant précis.

« C'est des conneries, je réponds.
- Et pourquoi ça ?
- Parce que !
- Explique-toi. »

Ma poitrine se soulève puis s'abaisse rapidement. Ma respiration est incroyablement lourde, mais je ne m'emporte pas. J'ai du mal à contrôler mon poing qui rêve de frapper le bureau, ou bien la personne assise derrière. Je laisse les mots cogner à ma place.

« Des gens meurent tous les jours pour différentes raisons. Maladies, accidents de voiture, suicides... mais personne ne parle d'eux, parce que les gens meurent, c'est comme ça, ça arrive. Mais quand quelque chose comme ça se produit, tout le monde est au courant. Tout le monde sait qui a fait ça. On révèle son nom, son visage, son histoire... mais personne ne parle des gens qui sont morts ce jour-là, des ados, qui avaient encore toute une vie devant eux. Je n'ai jamais vu le nom de ma meilleure amie à la télévision, mais le sien, oui. Et le pire, c'est que d'autres personnes aussi malades que lui le prennent pour un héros, et se mettent en tête l'idée de faire pareil, parfois juste histoire de faire plus de morts. C'est comme un jeu, pour eux. Et à travers l'histoire de ce type, on essaye de lui donner des excuses pour ce qu'il a fait. Mais ce n'est qu'un malade ! Pourquoi lui donner tant d'importance ? Ce n'est même plus une personne, mais un monstre, qui mérite de mourir pour ses crimes, invisible, dans l'oubli. Les gens normaux n'ont pas juste passé une mauvaise journée et commencent à tirer sur des inconnus. »

BANGWhere stories live. Discover now