Chapitre 25.

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Ce matin, je me réveille avec un goût amer dans la bouche. Mes oreilles sifflent, mes yeux sont gonflés, et j'ai l'impression que tout mon corps vient d'être martelé durant la nuit. J'ai du mal à me lever, bien plus que d'habitude, et je n'arrive même pas à trouver la simple motivation d'allumer la lumière de ma chambre afin de voir de quoi j'ai l'air dans le miroir en face de mon lit.
Je n'ai pas envie de mourir d'une crise cardiaque aujourd'hui.
Demain, peut-être.

Je descends.

Jimmy est devant la télévision, mais ne semble pas regarder les programmes qui défilent sur l'écran. Sur ses genoux est posé le livre que lui a offert à Alo, marqué par un morceau de papier, mais ses yeux manquent de se fermer à chaque fois qu'il change de chaine. Mon petit frère n'a pas pu fermer l'œil de la nuit, à ce que je vois. Alors que je me rends dans la cuisine pour me chercher un bol de céréales – que, je l'espère, je vais pouvoir garder jusqu'à midi -, je lui lance un furtif coup d'œil. Je vois sa joue qui s'enfonce dans le creux de sa main, sa jambe gauche qui se balance dans le léger vide qui sépare son pied du sol, et le battement paresseux de ses paupières une fois que je le fixe avec assez d'insistance. Après avoir rempli mon bol d'un peu de lait, je me mets en tête de m'asseoir à ses côtés, mais il ne semble pas tout de suite remarquer ma présence. Son esprit est ailleurs, embrumé par les ombres d'une fatigue matinale, et je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire moqueur face aux bayements de Jimmy. Sa main n'a même pas la force de venir couvrir sa bouche, et ses yeux d'humidifient toujours un peu plus. Bien vite, à force d'exprimer sa fatigue, je crois voir se détacher de ses cils blonds une larme. Presque aussitôt, je passe ma main sur sa joue pour venir l'en débarrasser.

« Tu peux retourner te coucher, tu sais, je lui dis en passant mes doigts dans ses mèches folles.
- Non...
- Il est encore tôt, Jimmy. Tu peux dormir, papa et maman ne t'en voudront pas non plus.
- Non, non, je veux pas dormir. »

Je fronce les sourcils. Je connais pourtant à mon petit frère un côté paresseux, et de grand dormeur. Je l'ai souvent trouvé endormi dans les endroits les plus improbables – et définitivement les moins confortables pour se prêter à une telle activité -, à n'importe quelle heure de la journée, et il m'a semblé que cela ne lui a jamais dérangé plus que cela de passer des heures à dormir.

Ma main se rapproche de son épaule, et je jure le sentir sursauter. Je pose mon bol sur la table basse.

« Quelque chose ne va pas ?, je demande, inquiète.
- Ça va, souffle-t-il en gigotant un peu.
- Jimmy. Pas à moi. »

Non, pas à moi. Parce qu'à moi, il ne peut mentir. Parce que je connais bien trop cette réponse toute faite, pour se débarrasser de la curiosité des plus intrusifs. Je me sers de ce bouclier contre les gens qui m'importent peu, ceux à qui je ne veux pas offrir leur dose d'autosuffisance et de soulagement quant à leur propre situation. Parfois, à mes parents, aussi, pour ne pas qu'ils s'inquiètent de trop.
Mais pas à Jimmy.
Alors, il n'a pas intérêt à essayer de jouer contre moi à ce petit jeu de dissimulation, et de fuite.

Le garçonnet le comprend d'ailleurs très bien, et c'est en partie pour cela qu'il capitule assez rapidement. Presque aussitôt, sa petite tête blonde vient s'écrouler sur mon épaule, et ses bras entourent mon cou. Par instinct, je viens l'enlacer contre moi, et tente de garder mon calme.
Jimmy ne pleure pas souvent. Et pourtant, je sens bel et bien quelques perles humides s'agglutiner dans le creux de ma clavicule.

« J'ai fait un cauchemar, murmure-t-il dans mes cheveux.
- Tu t'en souviens ?
- Oui. Il était horrible, vraiment horrible.
- Tu veux me le raconter ? »

Il hoche doucement la tête.

« J'étais tout seul, dans une pièce noire, et j'avais peur parce que j'entendais des bruits. Je criais, aussi, mais personne ne m'entendait. Je faisais que crier, mais personne ne venait m'aider.
- Je croyais que tu n'avais pas peur du noir, Jimmy.
- J'ai pas eu peur du noir. J'ai eu peur, parce que j'étais seul et que je criais, et que personne n'a entendu. »

BANGWhere stories live. Discover now