Epilogue

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Approchez-vous. Encore un peu plus près. Parfait. Ne bougez plus, ne faites plus un bruit.

Vous voyez le sinistre bâtiment gris perdu au beau milieu des champs ? Celui dont l'entrée est marquée par une gigantesque grille noire où s'étale « SAINT MATHURIN » en lettres capitales. Celui dont le moindre recoin est éclairé tel un château pour faire face à l'obscurité grandissante.

Vous l'avez repéré ? Bien. Regardez le premier étage, vous ne pouvez pas le rater. La seule pièce plongée dans l'obscurité s'y trouve. Celle qui donne l'impression de s'être abandonnée à la nuit.

Concentrez-vous sur elle. Regardez-la de plus près. Attention ! Ne bougez pas, vous risqueriez d'être repéré. Fixez-la. Tentez de distinguer les détails.

Vous ne percevez donc rien ? Il n'y a pas la moindre source de lumière, je le sais, mais vous devriez tout de même l'apercevoir. Juste là, à la fenêtre. Cette petite chose devenue fragile et si frêle, ce jeune homme aux cheveux indomptables et aux lunettes trop grandes pour son mince visage. Vous remarquez les marques sombres qui s'étalent sur ses bras ? Ce type de trace l'accompagne depuis sa plus tendre enfance mais désormais, elles ne sont plus seules. A côté d'elles trônent des coupures d'un rouge sang. Vous voudriez savoir d'où il les tient ? Je vous dirai simplement que dans les pires moments, on ne peut plus compter que sur ses propres mains pour se délivrer.

Vous voyez aussi comme ses yeux ne brillent plus ? C'est comme si on avait capturé leur éclat, comme si leur humanité les avait désertés. Exactement comme si la vie elle-même sentait venir la mort et voulait fuir avant de la rencontrer. Ce jeune homme, il ressemblerait presque à un fantôme.

Pourquoi pleure-t-il ? Je ne sais pas. Parce qu'il redoute la nuit depuis toujours ? Parce qu'il veut empêcher l'obscurité de lui murmurer des secrets ? Parce qu'il est hanté par leurs visages, leurs voix mais aussi par les flammes ? Où peut-être est-ce tout simplement parce qu'il a tout perdu, y compris lui-même ? Je ne sais pas.

Non, ne partez pas ! Nous y sommes presque. Ne ratez pas le clou du spectacle, je vous promets que ça en vaut la peine. Je ne vous ai jamais déçu, n'est-ce pas ? Faites-moi confiance, restez.

Ne perdez pas de vue notre fantôme plongé dans le noir. Dans quelques instants, une ombre va se glisser entre les murs gris et froids de sa chambre, attirée par les sanglots qui se font entendre depuis des heures. Est-ce que cette ombre veut du mal au jeune homme ? C'est compliqué, à vrai dire. Peut-on discerner le corps d'une personne de ce qu'elle est, de ce qui l'habite ? Si oui, alors je suppose que notre ombre se fiche de son enveloppe charnelle.

Regardez ! Juste là, l'ombre est arrivée. Immédiatement, notre fantôme est apeuré. Comment pourrait-il en être autrement ? Il ne parvient pas à s'habituer aux autres ombres mais celle-là, il la connait par cœur. Mains douces, sourire maternel, voix chantante, chevelure de feu. Pourtant, c'est celle qui l'effraye le plus. Impossible d'oublier son image. Voyez comme il court se recroqueviller dans un coin de son lit.

Et maintenant, tendez l'oreille. Vous l'entendez ? Les supplications du jeune homme, les ordres de l'ombre. Faites un effort, écoutez mieux.

« Tu sais que nous n'avons pas le choix, Elias. Il faut que tu me laisses t'aider si tu ne veux pas finir comme Théa. C'est pour ton bien. »

A la mention de ce nom, il frissonne. Son visage se grave à nouveau derrière ses paupières et les chuchotements se font plus présents. Notre fantôme ne veut plus jamais entendre ce nom ni celui, encore plus douloureux, de Cléa. Il lui transperce le cœur, le piétine à chaque fois et Dieu sait qu'il est fatigué d'être piétiné.

Attendez quelques instants et vous verrez la lumière revenir. Attendez quelques minutes de plus et vous discernerez l'ombre tenter de s'approcher de notre fantôme. Vous apercevrez des larmes strier des joues et un regard éteint supplier. Vous entendrez les paroles d'une infirmière rassurante à son patient, son protégé, des paroles sensées justifier son acte et le ramener à ses côtés comme autrefois. Vous sentirez le désespoir et la peur d'un jeune homme. Vous verrez deux mains se lever comme pour essayer de se protéger une dernière fois. Vous verrez que l'histoire finit toujours par se répéter.

Que lui veut-elle ? Elle veut achever ce qu'elle a commencé il y a bien longtemps. Elle veut rendre service au monde, le purifier de tout ce qui ne devrait pas avoir le droit d'y vivre. Elle veut tout simplement faire taire ce qui la dépasse, ce qui les dépasse tous, maintenant qu'elle a compris qu'elle ne pourrait pas le contrôler.

Peut-être parviendra-t-il à lui échapper. Peut-être.

Pourquoi vous ai-je montré tout cela ? Pour vous prouver que la roue ne cesse jamais de tourner.

Est-ce que le jeune homme va bien ? Je ne sais pas.

Comment sais-je tout cela ? Vous devriez le savoir.

Suis-je impliqué là-dedans ? Vous devriez le savoir.

Qui suis-je ? Oh mon ami, vous devriez le savoir.

NoxWhere stories live. Discover now